La réaction espagnole:
Quelle fut la réponse espagnole à ces évènements ? Tout d’abord, Madrid pratiqua une certaine forme d’insouciance, ne croyant pas la révolte très importante. Il faut attendre janvier 1569 pour voir arriver des galères patrouiller sur la côte Andalouse, par crainte des pirates. Longtemps, les effectifs dévolus à la lutte contre la rébellion sont squelettiques : 1500 à 1600 hommes tout au plus. Cette faiblesse ne les empêche pas d’être actifs et le commandement les envoie se battre dans la montagne en plein hiver, sans que la chose ne tourne d’ailleurs en catastrophe. Ce point est assez peu courant à l’époque pour qu’on le cite. Un deuxième fait sensible est, pendant de longs mois, l’absence d’une unité de commandement espagnole. Il y a en fait deux chefs, et les autorités de Grenade ont aussi leur mot à dire. Finalement, Philippe II unifie le commandement sous l’autorité de Don Juan d’Autriche, son demi-frère. Les problèmes ne disparaissent pas pour autant car il n’a tout d’abord aucune marge de manœuvre et est chaperonné par Madrid, qui ne tient d’ailleurs pas à ce qu’il s’expose de trop. Quant aux letrados, les éduqués issus de la haute bourgeoisie, ils jalousent la noblesse, se veulent plus rigoureux et radicaux qu’elle. Au milieu de l’année 1569, la donne commence à être bouleversée : les Espagnols disposent désormais de 30.000 hommes, ce qui n’est pas rien pour l’époque. C’est d’ailleurs la première fois que des troupes venues d’Italie et formées à la guerre conventionnelle se battent dans ce genre de conflit, qu’elles ne connaissent pas. Don Juan veille à ce que ses hommes s’adaptent et soient payés en temps et en heure, pour maintenir la discipline.

Don Juan d’Autriche, bon militaire qui mena avec succès ses troupes contre les Morisques.
Grenade prise pour cible:
L’idée fait son chemin que le cœur de la rébellion est à Grenade, où il faut sévir. On décide donc d’expulser les Morisques de la ville. En 1569, 10.000 personnes sont déplacées sous escorte. Cette opération tourne à la « marche de la mort », du fait de la chaleur et des violences des soldats. On cherche ensuite à tarir les sources de ravitaillement des Morisques par des actions de destruction : « fuego y sangre ». L’hiver n’arrête pas les combats et Don Juan, enfin libéré de la tutelle de Madrid, lance une vraie campagne à la mauvaise saison, avec succès. Trois mille Morisques sont tués et 8.000 autres réduits en esclavage. A l’antique, on rase une place-forte récalcitrante et on y sème du sel. Très lettrés, les officiers espagnols connaissaient en effet très bien l’Antiquité. Au début de cette année 1570, deux choix se présentent : doit-on traquer et affamer les bandes en ravageant le pays ? C’est long et coûteux… La deuxième possibilité est de pratiquer des chocs frontaux meurtriers, d’accrocher l’ennemi et en tuer le plus possible. C’est cette deuxième option qui est retenue, même si les redditions sont toujours acceptées. Le grand problème est qu’il n’y a pas d’interlocuteur à qui s’adresser car les chefs sont divisés. De plus, des livraisons régulières d’Afrique du nord entretiennent le feu de la révolte. Après une première trêve, des irréductibles reprennent les armes en mai 1570 et il faut attendre la fin de l’été pour les réduire définitivement, beaucoup s’enfuyant en Afrique. Pour éviter une troisième révolte, l’on décide de pratiquer à grande échelle ce qui avait été choisi pour Grenade : expulser tous les Morisques de la province. Le secteur montagneux est trop dangereux pour qu’on se risque à faire autrement. On parle là de 80.000 personnes tout de même. Ce déplacement brutal n’a fait que transplanter ailleurs le problème, l’étendre, et la méfiance va croître là où les Morisques furent envoyés.

Philippe II d’Espagne. Il prend la décision grave d’expulser tous les Morisques d’Espagne, sans faire de différence entre ceux qui se sentaient Espagnols (dans les limites du sentiment national de l’époque qui n’est pas celui du XIXe siècle) et les autres.
Conclusion:
Nous avons donc le cas d’une contre-insurrection réussie, même si les moyens furent longtemps limités et les prises de risque importantes. La désunion des Morisques fut naturellement l’une de leurs plus grandes faiblesses. Quant au caractère limité de l’aide extérieure, il ne faut pas l’oublier : le sultan est occupé à Chypre et les Barbaresques se contentent d’engranger des bénéfices. Après 1570, il n’y eut plus de révolte locale, mais l’on craignait toujours ces populations, même déplacées. Ainsi, dès 1582 naquit le projet de les expulser définitivement de toute l’Espagne. Philippe II rejette cette idée radicale, mais Philippe III l’admet en 1608. L’affaire eut lieu entre 1609 et 1614. Si l’on se posa d’abord la question, les gens baptisés furent même du lot…
Source: conférence donnée sur la question par le professeur Olivier Chaline.
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