Terme administratif allemand, l’expression « Alsace-Lorraine » (Elsaß–Lothringen) renvoie en fait aux trois départements français annexés en 1871: Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle. Ainsi, une partie de la Lorraine resta française, et il en fut de même pour le territoire de Belfort, détaché de l’Alsace et demeuré, du fait de sa défense tenace, dans le giron de la République. Or, l’opinion française ne sut jamais se résoudre à la perte de ces territoires vus comme des « provinces perdues ». Si la perspective d’une guerre de revanche pour les récupérer ne fut en fait jamais très sérieuse, dès que la Première Guerre mondiale éclata, la situation changea et ils devinrent très tôt un but de guerre essentiel pour Paris, ce qu’on s’attachera à expliquer ici.
Une frontière assez ouverte mais surveillée
Installé dans la région depuis 1870, l’Empire allemand avait entrepris très rapidement d’administrer et de germaniser (sans succès complet) le territoire reçu par le traité de Francfort de l’année suivante. Pourtant, la nouvelle frontière avec la France n’était pas hermétique, contrairement à une idée reçue. Longue de 285 kilomètres, elle était matérialisée par des poteaux-frontière assez impressionnants, et souvent arrachés, et il fallait bien se soumettre à des contrôles, mais ceux-ci n’étaient pas rédhibitoires. D’ailleurs, si l’Empereur Guillaume II avait instauré un passeport spécial pour la franchir en 1887, il l’annula dès 1891.
Ainsi, les Alsaciens et Mosellans ayant fait le choix de rester Français en 1871 se rendaient-ils souvent dans leur ville ou village d’origine et ce sans grand problème. C’est par exemple le cas du peintre Jean-Jacques Henner, dont la carrière parisienne ne doit pas faire oublier les origines alsaciennes et rurales. Il est connu pour son fameux tableau Alsace. Elle attend (1), personnification saisissante de cette région. Les Allemands, dans l’autre sens, pouvaient aussi se rendre en France, bien que ce fût plus compliqué pour les militaires en service, ce qui est assez compréhensible.
Toutefois, de la Suisse au Luxembourg, cette frontière était surveillée. Un climat « d’espionnite » aiguë régnait alors, dont on a du mal à saisir l’ampleur de nos jours. Dans les gares et villages frontaliers une vraie guerre de renseignement se livrait, réelle comme supposée. Commissaires de police aux fonctions spéciales, douaniers et militaires tentaient de recueillir des informations sur les fortifications, mouvements de troupes et situation économique de l’autre côté de la barrière.
Quelques affaires émaillèrent ainsi les relations franco-allemands, comme celle de Schnaebélé, fonctionnaire français attiré dans un traquenard par un homologue allemand en 1887, sous prétexte d’échanger des informations. Arrêté par les autorités allemandes au motif d’espionnage, il fut finalement relâché après qu’une émotion intense eut soulevé la France et fait croire, un instant, à une déclaration de guerre.

L’entrée du fort Rapp-Moltke de Reichstett, ceinture de Strasbourg. Photo de l’auteur.

Dans les fossés du fort. Photo de l’auteur.

Dans les fossés du fort. Photo de l’auteur.

L’une des coupoles d’observation d’artillerie. Photo de l’auteur.

Le fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

Les machines du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

L’une des coupoles de tir du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

Les pièces d’artillerie du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.
Un territoire fortifié
De plus, l’Alsace-Lorraine allemande est, en 1914, un territoire fortifié, bien défendu et terre de garnison. A la fois car elle constitue la frontière avec la France, mais aussi car elle est perçue comme une marche défensive par l’Allemagne. Le chancelier Bismarck l’avait lui-même avoué dans une lettre à l’impératrice Eugénie, femme de Napoléon III (2). Les considérations d’ordre culturel, consistant à dire que cette annexion avait été réalisée pour retrouver un rameau du peuple germanique séparé de son tronc se révèlent en fait être des prétextes masquant une volonté politique et militaire: en cas de nouvelle attaque française, c’est l’Alsace et la Moselle qui seraient les premières touchées, pas l’autre rive du Rhin.
Cela n’empêcha pas l’Allemagne d’investir énormément dans ce territoire, d’y bâtir, et l’Empereur Guillaume lui-même de l’apprécier. On connaît notamment son intérêt, certes orienté, pour le Haut-Koenigsbourg (3). Néanmoins, cet espace avait une vocation de « marche » certaine. Voilà pourquoi de nombreuses casernes y avaient été construites, à la fois pour matérialiser une présence militaire réelle, mais aussi car les soldats étaient un bon vecteur de germanisation. Les villes de Metz et Strasbourg, elles, furent dotées d’une ceinture de forts très modernes et destinés surtout à dissuader la France d’attaquer. Signe de l’évolution des temps, ils étaient semi-enterrés, pour lutter contre les progrès de l’artillerie. Parmi eux, on peut citer celui de Reichstett, autour de Strasbourg. Les débouchés des Vosges, eux, furent dotés d’ouvrages devant arrêter les troupes françaises, car la ligne du massif n’était par entièrement protégée. L’un des plus impressionnants est celui de Mutzig (voir plus bas), qui inspira indirectement la ligne Maginot.
Or, dès les premiers jours de la guerre, une partie de ce territoire connut des combats.
Notes:
(1) : http://www.musee-henner.fr/collections/l-alsace-elle-attend
(2): Le point sur la question ici: https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/une-chronique-de-thierry-lentz-limperatrice-le-tigre-et-le-retour-de-lalsace-lorraine-en-1918
(3) : https://antredustratege.com/2014/01/20/le-chateau-du-haut-koenigsbourg/
Bibliographie:
-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.
-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts:
https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/
https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/
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