Le contexte
Dernier aspect à aborder, et pas des plus faciles: la gendarmerie de l’époque consulaire et impériale joue-t-elle le rôle d’une police politique ? Cette question posée par l’historien Éric Alary ne manque pas d’intérêt. Encore qu’il faille dès à présent en préciser les termes: il est impossible de voir dans le XIXe siècle des polices politiques telles que celles que déployèrent les régimes totalitaires du siècle suivant. Les moyens ne sont pas les mêmes, ni les buts, ni l’idéologie… À supposer qu’il y ait même une « idéologie » sous le Premier Empire, Napoléon n’ayant pas écrit de traité de bonapartisme. Une propagande cohérente, certaines idées bien arrêtées, une volonté de synthèse entre Révolution et ancien régime, oui. Tout un système de pensée théorisé, avec un appareil doctrinal, un parti unique et un bras séculier constitué d’exécuteurs de basses œuvres, non. Il n’en reste pas moins que les gendarmes remplissent un rôle politique à plusieurs reprises.
Des arrestations bien connues…
Ainsi, l’Empire est un État autoritaire, comme tant d’autres au début du XIXe siècle européen. Les forces de l’ordre y sont un levier de pouvoir important, et Napoléon remarque bien vite l’importance des gendarmes dans la recherche du renseignement, et la traque des insoumis nous l’avons vu. Il confie aussi aux gendarmes des missions très délicates, comme l’enlèvement et l’arrestation du duc d’Enghien, par des gendarmes alsaciens (1804). Rappelons que ce dernier héritier de la famille de Condé a une certaine aura dans le monde royaliste, et aurait pu constituer un pôle de ralliement: les Condé sont les cousins du roi. Cette potentialité a peut-être été surestimée par Napoléon, mais cela ne change rien au fait qu’il est bien arrêté par des gendarmes.

« Napoleon and pope Pius VI at Fontainebleau 1813 ». Ce tableau de Wilkie conservé à la National Gallery of Ireland est postérieur aux faits, il date de 1836. Il dépeint un Napoléon pressant le pape d’accéder à ses demandes. Le souverain pontife est alors sous bonne garde à Fontainebleau. Les visiteurs français n’aimèrent pas ce tableau lors de sa présentation, car il donnait une image négative de l’Empereur. PHOTO DE L’AUTEUR SUR LES LIEUX (juillet 2017).
Quelques années plus tard, en 1809, c’est Radet (dont j’ai rappelé le rôle dans l’organisation de la gendarmerie) qui arrête le pape Pie VI sur ordre de l’Empereur. Les relations entre les deux hommes s’étaient dégradées depuis plusieurs années, notamment parce que le souverain pontife avait refusé d’adhérer au blocus continental. Bientôt, Rome est annexée et devient le département français des Bouches-du-Tibre. Il existe donc bien un rôle politique de la gendarmerie, ce qui génère une image négative qui va être entretenue tout au long du XIXe siècle, car monarchies et républiques vont continuer à se servir de cette arme en ce sens. Napoléon n’est pas le seul !
Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):
Il existe plusieurs livres sur la question (Antoine Boulant, Jacques-Olivier Boudon ont écrit sur le sujet, Jean-Noel Luc aussi). Pour ma part, j’ai consulté le synthétique et très sérieux :
-ALARY Éric, Histoire de la gendarmerie, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2011, 320 p.
Sur l’arrestation du pape:
-GALOIN Alain, « Le pape Pie VII, prisonnier de l’empereur Napoléon », Histoire par l’image [en ligne], consulté le 29 mars 2020. URL : http://www.histoire-image.org/fr/etudes/pape-pie-vii-prisonnier-empereur-napoleon