Archives de Tag: 1848

La guerre des rues au XIXe siècle, I sur II.

Le combat n’est pas un mais multiple: contre un ennemi extérieur ou intérieur, de jour ou de nuit, défensif ou offensif… Mais il est aussi fonction du terrain: en rase campagne ou en milieu difficile, il n’est pas le même. C’est dans cette dernière catégorie que l’on peut classer l’affrontement urbain, très présent durant le « siècle des nationalités »

Les forces en présence:

Pourquoi le fut-il? Essentiellement  car ces années ont été témoins de grandes révolutions et agitations urbaines, liées en partie à l’accroissement de la population dans ces zones rendues attractives, du fait de l’industrialisation. On parle par exemple (en France) des émeutes de 1832 et 1834, des révolutions de 1830 et 1848 voire même de l’opposition au 2 décembre 1851 (il y eut des barricades), ainsi que la Commune de Paris, évidemment. Outre la capitale, les grandes villes connurent elles aussi des troubles, comme Lyon. L’affaire ne se limite pas à la France: Varsovie, la Hongrie ou Milan connaissent ce type de soulèvement à la même époque. Ils sont d’ailleurs la crainte générale des gouvernements européens. C’est bien connu, les puissants ont finalement souvent peur de ceux qu’ils dirigent, de leur grogne. Chateaubriand, en visite à Londres , l’entend clairement dire sur place par le premier ministre à qui il vante les mérites du gouvernement à l’anglaise!

Si  le peuple des villes est encore en partie composé du vieux fond des artisans, héritiers des corporations et autres guildes, dont l’esprit ne s’est pas tout à fait perdu, dont le souci de respectabilité est réel et le niveau de vie acceptable… Le temps leur ajoute de nouvelles couches: essentiellement des gens tirés de leurs campagnes. Beaucoup ne sont pas qualifiés et ont évidemment du mal à s’intégrer. Enfin, on trouve ceux qui vivent de travail temporaire, parcellaire, d’expédients divers. Le mélange peut être explosif, on s’en doute. Surtout si les principes républicains, socialistes etc. se surajoutent (la majorité de l’Europe vit sous des régimes monarchiques plutôt forts). La dernière catégorie de gens fournit en effet une masse de manœuvre utilisable par ceux qui déclenchent les révoltes, mais n’y meurent généralement pas. En fait, l’idée qui court est que le peuple n’est pas un, mais deux, ce que dit bien Disraéli (premier ministre britannique sous Victoria): sa fraction la plus basse diffère de l’autre, c’est elle qu’il faut surveiller car elle est dangereuse. En France, Thiers parle même d’eux comme étant une « vile multitude ».

Horace Vernet. « La barricade de la rue Soufflot » durant les journées de juin 1848, qui renversent la monarchie de Juillet. Crédit photo: wikipedia.

C’est d’autant plus dangereux qu’il n’y a pas de force de police permanente une bonne partie du siècle: quelques sergents de ville et autres services de sûreté en France, mais guère plus. Londres n’a, elle, rien du tout pour agir contre les émeutes, elle est donc la ville du crime par excellence: les gares et leurs abords sont remplies de pickpockets (le mot vient d’ailleurs d’Angleterre) Jack l’Éventreur sévit etc… Reste donc l’armée en cas de trouble majeur, seul moyen de lutter contre le soulèvement de la rue.
Mais celle-ci a horreur de se battre en ville. En effet, avant les grands travaux d’urbanisme (comme le Paris d’Haussmann), les rues sont encore moyenâgeuses: c’est-à-dire généralement étroites et tortueuses, où il est facile de dresser des barricades. Il faut donc occuper la place rue par rue, maison par maison. Un cauchemar que rappelle de Vigny dans Servitude et grandeur militaires!
De plus, il est assez facile aux gens de s’armer: un bon nombre fait par exemple partie de la Garde Nationale et possède un fusil. Les balles sont facile à fondre (du moins tant qu’on ne passe pas aux cartouches métalliques, dans la deuxième moitié du siècle) et la recette de la poudre est connue. Enfin, nul besoin d’avoir une organisation tactique très poussée, à la différence d’une bataille en rase campagne: on tient des barricades, point. Contre cela, même les meilleurs soldats, les plus manœuvriers et coriaces peuvent être écrasés: une pierre tue assurément un homme si elle est lancée depuis un toit par exemple. Les Anglais en firent les frais durant leur expédition à Buenos-Aires en 1806-1807 et ils durent rembarquer. D’ailleurs les soldats n’estiment rien avoir à gagner dans ce genre de combat; remporter une médaille dans ce type d’affronterment contre ses compatriotes ne constitue pas matière à se vanter. Les troupes en garnison dans une ville sont en fait rapidement assaillies, leurs communications coupées, les cas de désertion voire de fraternisation avec les insurgés courants. Ils sont toutefois limités par le fait que les soldats sont souvent des paysans (pas les zouaves en France, toutefois) avant l’avènement des services nationaux, ils ont donc peu d’affinités avec les citadins. Ainsi, en 1830 (au moment des troubles contre Charles X), l’armée évacue Paris. De même, en février 1848, Louis-Philippe n’ose pas faire donner la troupe et les généraux sont peu empressés à se battre. Les combats de rue ne datent, pour l’essentiel, que des « journées de juin » de la même année

Delacroix, « La liberté guidant le peuple », symbole de la Révolution de 1830 qui chasse Charles X.

Bibliographie:

-Cours de master

Histoire militaire de la France, t. 2 de 1715 à 1871, sous la direction de Jean Delmas, Paris, PUF coll. « Quadrige », 1997, 627 p.

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L’armée autrichienne de 1815 à 1859 II sur II.

Le calme revenu, François-Joseph, le nouvel empereur, monté sur le trône à la faveur des évènements révolutionnaires, est en droit de s’interroger. Si l’armée est restée fidèle et qu’elle a sauvé l’Empire (Radetsky le dit clairement à ses soldats), elle n’en a pas moins accusé le coup, a dû se battre sur deux fronts et n’a dû son salut qu’avec l’aide des Russes, qui se comportent comme les vrais vainqueurs dans l’affaire. Or, François-Joseph est un homme que l’armée intéresse, il a reçu une éducation en ce sens. De plus, il est dans les jeunes années de son règne, généralement les plus fécondes, là où l’on ose le plus avant que l’âge ne tempère. Nous sommes donc en droit de penser que de 1848 à 1859 il aurait eu le temps de reforger son outil…
 
Toutefois il faut aussi bien avoir conscience qu’à l’instar du tsar, l’empereur d’Autriche est un homme de principes, de légitimité, un champion de l’ordre et de la lutte contre les idéaux véhiculés depuis la Révolution Française. Souverain d’un ensemble mêlant plus d’une dizaine de peuples hétéroclites, des portes de  l’Allemagne à la Roumanie, il ne peut se permettre d’être autrement, juge-t-il.
C’est pourquoi sa première période de règne (1848-1859) est dite « néo-absolutiste », ce qui est assez éloquent. Ainsi, tout ceci se reflète sur l’institution militaire: les officiers sont pétris de ces idées. D’ailleurs, l’armée opère encore des opérations de maintien de l’ordre, comme on les nommerait aujourd’hui: l’état de siège demeure actif jusqu’à la fin 1853 à Vienne ou Prague, et mi-1854 en Transylvanie. La capitale reçoit un dispositif renforcé pour pouvoir mieux lutter contre de futurs troubles et les régiments ne se privent pas de défiler dans la ville. François-Joseph entend se mêler de près aux affaires militaires. Ainsi, il supprime le ministère de la guerre, né de la révolution de 1848, en 1853 et exerce pleinement son autorité à travers sa chancellerie militaire. Ce faisant, il étouffe la création d’institutions modernes comme un grand-quartier général et ouvre la voie au clientélisme: il s’agit de plaire au comte Grünne (qui dirige l’ensemble et n’a jamais commandé sur le terrain).

François-Joseph en 1853 (image trouvée sur wiki).

 

Homme tourné vers les grands principes du passé, l’empereur entend surtout que ses troupes et officiers lui soient unis par des liens de fidélité quasi féodaux. Si c’est entretenir là un haut niveau de moralité au sein de l’armée, cela ne forme pas aux nouvelles réalités de la guerre, liées dorénavant aux progrès de la Révolution Industrielle. D’ailleurs, si le souverain se pique de commander, il n’est pas un grand stratège et, dessillé, ne s’y risqua plus après l’épisode de la guerre d’Italie. Nombre d’officiers sont placés car ils sont bien vus en cour, mais leur qualités de stratège sont pauvres: le remplaçant du vieux Radetsky, mort en 1858 à 91 ans, en est la meilleure illustration (voir articles sur la guerre de 1859): il s’avéra être un incapable. L’armement aussi est en retard et cela se fit sentir en 1859 où l’artillerie française surclasse celle des Autrichiens. Même commentaire en 1866 quand le fusil Dreyse dépasse de loin l’équivalent des habits blancs. En bref, l’armée autrichienne semble plus être dirigée par des guerriers, des courtisans que des soldats. Cette ambiance n’est pas sans rappeler celle que je décrivais pour la France de la même époque, ici:

 A noter que l’industrialisation seulement partielle du pays, son étendue, son caractère hétéroclite et les difficultés budgétaires n’ont pas arrangé l’ensemble.

Source: Bled (Jean-Paul), François-Joseph, Paris, Tempus, 2011, 853 p.

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L’armée autrichienne de 1815 à 1859, I sur II.

Introduction:

Après avoir été fortement malmenée par Napoléon lors de la campagne de 1805 (voir iciici et ), l’Autriche avait su remonter la pente. Ainsi, même si la campagne de 1809 finit elle aussi par une victoire française, qui est Wagram, (voir 1234 et 5), celle-ci fut acquise avec plus de difficulté. Entre temps, l’armée des Habsbourg avait opérés avec succès des changements en son sein. Un mouvement s’était amorcé, qui se confirma jusqu’à la chute de Napoléon. En 1815, Vienne est donc au faîte de sa puissance et le prince Metternich préside au destinées de l’Europe des trônes, sauvés par leur union contre la France.
Presque un demi-siècle plus tard, la donne avait été considérablement bouleversée. En cette année 1859, l’Autriche perdit une partie non négligeable de ses possessions et de son influence en Italie (détails: 12;3456 et 7). Sept ans près ce revers, elle devait abandonner la Vénitie et fut chassée d’Allemagne, étrillée par la Prusse victorieuse à Sadowa (voir video ci-dessous)… Nous allons donc voir ce qui, dans l’intervalle, peut expliquer ces défaites successives.

La guerre de 1866, 1ère vidéo de la playlist:

1815-1848:
La première chose que l’on peut dire est qu’il est courant dans l’histoire, après une grande épreuve victorieuse, de « s’endormir sur ses lauriers »… Jusqu’à ce qu’une défaite nous fasse comprendre notre erreur: les exemples sont nombreux. Or, c’est bien ce qui caractérisa pour partie l’Autriche de la période envisagée. Du début de notre étude à sa mort en 1835, le pays est dirigé par le vieil empereur François Ier, vainqueur de Napoléon. Son fils Ferdinand, trop malade pour pouvoir gouverner efficacement, lui succède jusqu’en 1848. Cette période d’avant l’année révolutionnaire, le fameux « printemps des peuples » qui secoue l’Europe, est dite du Vormärz, littéralement de « l’avant-mars » (1848). Succédant aux troubles révolutionnaires et napoléoniens, elle se caractérisa dans la monarchie des Habsbourg par une immobilité quasi complète. C’était comme si le pouvoir refusait toute évolution, craignant que la moindre avancée puisse dégénérer et faire écrouler l’ensemble. Inutile de dire que dans un tel décor, l’armée pâtit de cette stagnation. Elle vécut donc sur ses acquis de la période précédente, et ceux-ci ne disparurent certes pas de suite. Ainsi elle intervint avec succès dans plusieurs opérations à l’extérieur des frontières de la monarchie danubienne, ou en Italie où elle maintient l’ordre face à l’agitation révolutionnaire (souvent aidée par d’anciens officiers français). Elle est encore commandée par quelques chefs de qualité comme le fameux maréchal Radetsky qui avait été chef d’état-major du non moins célèbre Schwarzenberg, officier bien connu des guerres napoléoniennes.
Sur ces entrefaites arrive la Révolution de 1848: l’Italie bouge à nouveau, Louis-Philippe est chassé de son trône, l’Allemagne tente de s’unifier, la Hongrie, lassée des empiétements de Vienne se soulève… Les décennies écoulées depuis 1815 sont durement ressenties face à de telles menaces: si Radetsky parvient à écraser les Piémontais avec succès, la situation devient critique sur les terres magyares (l’autre nom des Hongrois) et la cour doit même quitter Vienne elle aussi en proie aux troubles. Finalement, l’affaire n’est réglée qu’avec l’aide de l’armée russe en 1849. Le tsar Nicolas Ier, qui se veut le champion de la contre-révolution, intervient en effet en masse et tire les Habsbourg d’une situation complexe…

La marche de Radetsky, écrite par Johann Strauss père pour célébrer la victoire décrite plus haut. Elle est jouée tous les ans au concert du Nouvel-An de Vienne. Voilà l’interprétation de 2012, par un chef que j’aime beaucoup, Mariss Jansons.

 

 Source: Bled (Jean-Paul), François-Joseph, Paris, Tempus, 2011, 853 p. 

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