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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: VII) Bilan et conclusion

La libération du territoire belge

La libération du territoire belge appartient aux grandes offensives alliées de l’été 1918, auxquelles participent cette fois très étroitement les forces belges, directement intéressées. La réserve bien compréhensible du roi quant à l’engagement de l’armée cède là la place à une volonté de faire partie de ce mouvement jugé important. En effet, que des Belges libèrent leur propre territoire est symboliquement puissant, et c’est ce qui arrive. Toutefois, si on a souvent en tête l’image de forces allemandes qui se débandent à l’approche du 11 novembre, il faut s’en méfier: la date finale n’était pas connue à l’époque et on sait que les troupes du kaiser se sont bien défendues durant l’été.

C’est d’ailleurs ce qui se passe en Belgique: les combats le long de la Lys sont très durs et les Français y participent aux côtés de leurs alliés. La jonction est faite aux environs de Gand, mais à la mi-octobre seulement. Enfin, si l’on retient habituellement la date du 11 novembre comme armistice et fin des combats sur le front de l’ouest, les historiens ont énormément relativisé celle-ci dans leurs dernières recherches. Non seulement l’est de l’Europe continue de s’embraser pendant des années (voir lien à la fin), mais l’armistice signé entre l’Italie et l’Autriche-Hongrie, dont l’effet sur l’issue finale est important, a eu lieu dès le 4. Enfin, en Belgique dont nous parlons, le roi fait son entrée à Bruxelles plus tard, le 22. C’est là qu’il réinstalle son autorité et que les grandes scènes de joie ont lieu, beaucoup moins le 11. Toutefois, c’est bien cette dernière date qui a été choisie, pour « aligner la politique symbolique belge sur celle des alliés français et britanniques » (Victor Demiaux, référence en bibliographie).

Monument aux morts de la ville de Tournai. Comme souvent, les tués de 40-45 ont été rajoutés par la suite. Photo de l’auteur (juillet 2017).

Le bilan humain et matériel 

Une fois l’heure du bilan arrivée, il faut constater que celui-ci est lourd. Si, en valeur absolue, les pertes humaines sont limitées par rapport aux saignées connues par l’armée française ou russe, il faut les remettre en perspective: on a vu les conditions particulières de l’occupation allemande de 1914 et de l’emploi de l’armée belge de par la volonté du roi Albert. De plus, la Belgique est bien moins peuplée que les grands États européens. On parle ainsi de 40.000 militaires tués ou disparus, ce qui représente tout de même 10% de l’effectif engagé, auxquels il faut ajouter 9000 civils et les naissances qui n’ont pas eu lieu. Ce fameux phénomène de « classes creuses » touche donc aussi la Belgique et au recensement de 1920 il « manque » 650.000 personnes ! La population atteint alors 7.4 millions d’habitants, dont beaucoup ont été déplacés durant la guerre ou ont fuit les armées ennemies.

Côté matériel, les villes belges ont beaucoup souffert de l’avancée allemande: la bibliothèque universitaire de Louvain a été brûlée en 1914 (voir photo), Malines, Charleroi, Namur et d’autres villes ont aussi subi des dégâts. Par la suite, le long de la ligne de front, d’autres localités ont été détruites. Si ces villes ont été rebâties avec succès, parfois à l’identique comme Ypres rayée de la carte par les combats, on se demandait alors s’il ne fallait pas garder certains lieux tels quels, comme objet de mémoire, tels les villages détruits vers Verdun (mais à une autre échelle).

Pour finir on rappellera que, des dizaines de milliers de logements manquent ou sont endommagés, que le tissu industriel a été durement secoué et que le pays en est quitte pour une perte de 20% de sa richesse nationale. Les tensions sociétales qui en découlent vont amener à de profondes réformes en 1918-19, mais qui ne vont pas suffire à régler toutes les tensions accumulées dont le détail dépasse le cadre de cette évocation, mais qu’on pourra utilement connaître en se reportant à la bibliographie indiquée.

Détail de la façade de la bibliothèque universitaire de Louvain, rebâtie après 1918 avec l’aide des alliés de la Belgique. Il s’agit là bien sûr de l’évocation de la contribution française. Photo de l’auteur (juillet 2017).

La figure du roi Albert 1er a été rajoutée dans la halle médiévale d’Ypres, totalement détruite durant la guerre et reconstruite à l’identique par la suite. Elle abrite aussi le musée « In Flanders Fields » dont je vous conseille la visite. Photo de l’auteur (juillet 2018).

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DEMIAUX (Victor), « Le 11 novembre 1918 » dans Historiens et géographes n°442, mai 2018, pp. 77-81.

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

-GERARD (Emmanuel), Nouvelle histoire de Belgique. 1918-1939, la démocratie rêvée, bridée et bafouée, Bruxelles, Le cri, 281 p.

-Informations glanées dans de nombreux musées belges dont le musée In Flanders fields d’Ypres, le Musée royal de l’armée et de l’histoire militaire (Bruxelles), le musée-mémorial de Mons, le musée d’histoire militaire de Tournai et diverses expositions (liens depuis les images).

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« La guerre sans fin, 1918-1923 », exposition aux Invalides:

https://www.musee-armee.fr/au-programme/expositions/detail/a-lest-la-guerre-sans-fin-1918-1923.html

La Belgique dans la Première Guerre mondiale: VI) L’armée belge après l’été 1914

Il est à présent temps de revenir sur l’armée belge après l’été 1914: on a vu qu’une partie du territoire national reste aux mains des forces d’Albert Ier, qui a également pu s’extraire de la nasse. Or, ces forces jouent un rôle durant la suite du conflit, bien qu’elles manquent cruellement de moyens jusqu’à la fin et que leur utilisation ait donné lieu à des tensions entre le roi et ses alliés.

Du chaos de 1914 à la reconstruction 

Pratiquement décomposée à l’été 1914, l’armée belge s’est reconstituée peu à peu sur la partie de territoire qu’elle a su conserver, à la fois avec l’aide de l’Entente et grâce à l’opiniâtreté du roi Albert 1er, soucieux de la vie de ses hommes et peu enclin à les faire participer à de vastes offensives coûteuses en hommes et générant peu de gains territoriaux, ce qui caractérise bien le front occidental durant la Première Guerre mondiale.

Ce faisant, il protège un outil restant fragile, mais crée des heurts avec Londres et Paris, qui voient d’un mauvais œil l’armée belge rester à l’écart de plusieurs chocs majeurs. Il faut dès à présent le rappeler: cette armée n’est pourtant pas la priorité des gouvernements britannique et français. Elle reste mal armée, mal équipée durant tout le confit. Elle obtient de pouvoir s’entraîner en France, à l’arrière du front mais est minée de l’intérieur par une inaction relative, et des conflits linguistico-ethniques. Si les Flamands représentent de 65 à  80% de l’effectif suivant les estimations, leurs revendications ne sont pas prises en compte et la langue de commandement reste le français. En fait, les soldats ne réclament pas tant une égalité des langues, qui paraît secondaire face aux nécessités du front, qu’un arrêt d’une forme de mépris de la part d’officiers les prenant souvent de haut. Les conséquences après 1918 vont être importantes.

Néanmoins, ces forces parviennent à atteindre un effectif non négligeable avec le temps. Outre les soldats ayant échappé à la capture en 1914, l’armée belge incorpore des volontaires et des hommes issus de levées sur la portion de territoire qui n’est pas aux mains des Allemands. De plus, on a vu que des hommes parviennent à s’échapper de la partie occupée du pays malgré la surveillance et le mur de barbelés mis en place le long de la frontière avec les Pays-Bas, notamment via des réseaux d’évasion actifs. Ainsi, cette armée compte 221.000 cadres et soldats à la fin du conflit, dont 168.000 directement sur le front.

Boussole de l’armée belge. Objet conservé au musée d’histoire militaire de Tournai. Photo de l’auteur (juillet 2017) https://www.tournai.be/decouvrir-tournai/musees/musee-d-histoire-militaire.html

L’emploi de l’armée 

Cette armée vit surtout une guerre de position, et le roi refuse qu’elle soit employée loin du territoire belge, dans de coûteuses et hasardeuses offensives. Or, si les combats principaux n’ont pas lieu dans cette partie du front, mais surtout dans la Somme ou la Meuse, les conditions restent très difficiles pour les soldats belges, et les Allemands qui leur font face d’ailleurs. En effet, la zone est très marécageuse, surtout dans la partie frontalière nommée Westhoek. L’eau s’infiltre partout, sape le travail de tranchée et l’odeur y est insoutenable car le terrain est plein de cadavres d’animaux comme d’humains. Le résultat est un service très dur à supporter en première ligne, avec notamment des maladies de poitrine bien présentes: un tiers des hommes morts sur ce front (environ 7000) décèdent de ce fait, ce qui est peu courant en 14-18. Notons tout de même qu’à l’arrière, les conditions de vie s’améliorent peu à peu.

De plus, s’il y a bien des échanges de tir d’artillerie, des patrouilles, des coups de main et autres actions localisées de tranchée à tranchée, le front ne connaît pas de bataille majeure entre la fin de 1914 et celle de 1918. Ainsi, les soldats s’ennuient le plus souvent et sont désœuvrés, ce qui joue sur leur moral. Au final les pertes du front de l’Yser restent limitées (20.000 hommes) par rapport aux chocs majeurs comme Verdun, mais sont à remettre en perspective des effectifs engagés et du type de guerre mené. Le combat de position, cruel pour les corps et les esprits, fait tout de même moins de morts que la guerre de mouvement, malgré une image tenace… 

Capote du major Alfred Dierickx, de l’armée belge. On voit clairement qu’elle a été déchiquetée par des éclats d’obus. L’objet témoigne de la violence des combats de la Première Guerre mondiale. Pièce conservée au musée-mémorial de Mons. Photo de l’auteur (octobre 2016) http://www.monsmemorialmuseum.mons.be/

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

-Informations glanées dans de nombreux musées belges dont le musée In Flanders fields d’Ypres, le Musée royal de l’armée et de l’histoire militaire (Bruxelles), le musée-mémorial de Mons, le musée d’histoire militaire de Tournai et diverses expositions (liens depuis les images).

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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: V) Les formes de résistance à l’occupation

Nous avons vu précédemment une forme d’organisation civile face aux aspects les plus durs de l’occupation allemande, avec la question du comité du ravitaillement. Si c’est indéniablement la mise en place d’une structure destinée à soulager la vie des Belges occupés, on ne peut pas pour autant parler de résistance armée dans son cas. Or, sans comparaison possible avec la Seconde Guerre mondiale, on relève tout de même des oppositions plus violentes à la présence allemande en Belgique. Celles-ci conduisent tout naturellement les forces du Kaiser à leur faire face.

Différentes formes de résistance

Je l’ai rappelé en introduction, 14-18 n’est pas 39-45. La guerre menée par les troupes du Kaiser est dure, très dure, comme en témoignent les destructions en Belgique en 1914 (notamment à Louvain, sans parler des exactions commises à Liège le 20 août), les réquisitions évoquées ainsi que les déportations citées plus bas (voir 2e partie). Pourtant, ce n’est pas un régime totalitaire comme le Troisième Reich: pas d’idéologie raciale à l’oeuvre, ni d’envoi systématique dans des camps d’un système concentrationnaire tel que développé à partir de 1933 par exemple. Cela explique en partie que la résistance armée ait été moindre, mais cela ne veut pas dire qu’aucun camp n’ait été mis en place, ni qu’aucune déportation n’eut lieu.

Ce cadre très général posé, notons que de nombreux types d’actions ont été entrepris: sabotages de lignes de chemin de fer (dont on a dit l’importance pour le transfert des troupes et des marchandises), réseau d’évasion de soldats via les Pays-Bas malgré les barbelés (32.000 personnes ont ainsi pu rejoindre les forces belges restées combattantes), mais surtout mise en place de collecte de renseignements. Plus de 300 réseaux voient ainsi le jour dont la fameuse « Dame Blanche » qui donne des informations aux Britanniques. Ils sont d’une grande aide et concernent des milliers de personnes qui communiquent quant aux mouvements de troupes, à la nature des unités, aux installations allemandes en Belgique…

A côté, on peut noter l’apparition d’une presse clandestine très active et l’implication de diverses personnalités dans ce mouvement de refus de l’état de fait, dont le cardinal Mercier qui apporte un soutien moral important dans un pays où la pratique du culte catholique est restée forte.

Mesures édictées par l’occupant allemand. Affiche présentée dans le cadre d’une exposition sur Liège dans la Première Guerre mondiale au musée de al vie wallonne (photo de l’auteur, 2014). https://www.provincedeliege.be/fr/mvw/expo?nid=7832

Photo représentant des soldats allemands dans Bruxelles. Contexte précis non donné. Image présentée au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr Photo de l’auteur (2014)

Les réactions allemandes

La riposte allemande à ses actions ne se fait pas attendre: Berlin fait des pressions sur le Saint-Siège pour limiter les discours de Mercier, sans très grand succès d’ailleurs. Comme ses publications sont très lues, les Allemands en viennent finalement à déporter l’imprimeur qui en a la charge, Charles Dessain, en 1916.

Si la position de prince de l’Église de Mercier le protège, il n’en est pas de même de tout le monde. Ainsi, les Allemands engagent des traîtres belges, utilisent leurs propres espions ainsi qu’une police facilement reconnaissable à sa plaque métallique. Il parviennent donc à arrêter des opposants notoires et à démanteler un certain nombre de réseaux comme le rappelle la plaque ci-dessous. Là, la personne concernée, trahie, a été fusillée le 18 avril 1916.

De plus, l’exploitation économique du pays se fait de plus en plus intense: à la fin de la guerre, les usines belges commencent à être démantelées pour être envoyées en Allemagne et, dès 1916, des ouvriers sont déportés alors que du travail forcé est organisé dans la zone d’étapes, c’est-à-dire une bande de 50 kilomètres à proximité immédiate du front. Dans ce dernier cas, de 1916 à la fin de la guerre, 62.000 personnes doivent accomplir des travaux de terrassement, d’amélioration des communications pour les troupes allemandes, dans des conditions d’hygiène terribles et surtout au mépris total du droit international. Enfin, outre les déportations d’ouvriers (octobre 1916-mars 1917), on peut signaler l’envoi forcé de 30.000 travailleurs en Allemagne de juin 1915 à octobre 1916.

Au final, il s’agit d’une mise en coupe réglée du pays, soumis à des exigences de plus en plus stricte de la part des autorités d’occupation.

Photo prise par l’auteur à Liège (août 2014), d’une plaque commémorative en l’honneur de Dieudonné Lambrecht, créateur d’un réseau de renseignement. http://www.commemorer14-18.be/index.php?id=11177

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: IV) La mise en place d’un régime d’occupation sévère

La maîtrise du territoire belge occupé revêt rapidement une grande importance aux yeux du haut-commandement allemand. Outre ses richesses minières et son industrie puissante, la Belgique est aussi un nœud de communication vital pour les forces du kaiser engagées dans le nord-est de la France. Par elle doivent transiter les trains de munitions, matériel, mais aussi de blessés et de renforts. C’est pourquoi l’occupation du royaume va se révéler stricte et lourde, même si elle n’est évidemment pas comparable, dans sa nature, à celle, ultérieure de la Seconde Guerre mondiale.

Les forces d’occupation

Rapidement, la Belgique est séparée en plusieurs zones aux statuts différents, suivant la proximité au front. C’est la distance à celui-ci qui détermine le degré de contrôle militaire allemand. Plus l’on est proche du lieu des combats, plus il est important. Hors du front, l’autorité est exercée par un gouverneur général qui concentre les pouvoirs dans ses mains et s’est calqué sur les divisions du territoire (provinces, communes…) pour installer sa double administration, civile et militaire. Si les bourgmestres belges et d’autres conseils restent en place, il a toute latitude pour émettre des décrets et ne s’en prive pas. Bientôt, les murs sont recouverts de publications indiquant les ordres de l’occupant et les consignes à suivre. Dans certains domaines, des structures sont même créées pour répondre à un besoin précis (notamment vis-à-vis des Flamands jugés plus « sûrs » que les Wallons), et des fonctionnaires arrivent d’Allemagne pour remplir leurs missions.

La structure, pesante, s’appuie sur 80.000 soldats et un personnel civil dont le souci est de contrôler l’ensemble des activités économiques et politiques. C’est par exemple le cas dans la finance, où l’on retrouve des personnalités envoyées d’Allemagne, comme Hjalmar Schacht, futur ministre du troisième Reich, et qui organisent une économie de guerre (achats de biens pour l’Allemagne, réquisitions…). A mesure que les années passent, le statut futur du territoire est également discuté à Berlin: faut-il l’annexer purement et simplement après la victoire (dont l’Allemagne ne doute pas jusqu’en 1918) ? « Simplement » en faire un État vassal ? Comme l’issue finale n’est alors pas connue, ces questions soulèvent des réactions parfois contradictoires sur place, ce qui n’est pas sans créer beaucoup de confusions.

Caricature évoquant les difficultés du ravitaillement en 1916. Image présentée au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr

Éléments du mur électrifié entre Belgique et Pays-Bas édifié à partir de 1915. Cinq cents personnes perdent la vie en tentant de le franchir. Objet présenté à Liège dans le cadre de l’exposition « Liège Expo 14-18 ». Photo de l’auteur. https://www.provincedeliege.be/fr/liege1418/expo1418

Objets évoquant le « Relief for Belgium », grande oeuvre américaine. Pièces présentées au musée In Flanders Fields d’Ypres. Photo de l’auteur (juillet 2018). http://www.inflandersfields.be/fr

Les occupés face à l’arrivée des Allemands

On l’a dit, la majeure partie de la Belgique est occupée par l’Allemagne. C’est une situation inédite pour le royaume, qui avait su rester hors de la guerre de 1870. A moins de vivre dans la petite zone demeurée aux mains des forces armées belges, la plupart des habitants doivent continuer leur existence dans un pays occupé. Fuir vers la frontière française semble hors de propos, car ce serait retomber, pour une grande partie, dans des zones aux mains des troupes de Guillaume II. Reste la possibilité de partir vers les Pays-Bas restés neutres mais, pour éviter cette hypothèse, les Allemands mettent en place une barrière électrifiée très au point, et difficilement franchissable, même si des réseaux d’évasion se structurent pour la contourner.

Le premier et principal problème reste l’alimentation: aucun plan de secours n’existe en 1914, les Allemands réquisitionnent beaucoup et ce dans un pays déjà marqué avant-guerre par une forte propension à acheter à l’étranger certaines denrées comme les céréales (3/4), pas assez produites sur place. Dès la fin de l’année 1914, les vivres commencent donc à manquer, et y remédier n’est nullement une priorité pour les autorités d’occupation. Toutefois, elles laissent une structure être mise en place depuis Bruxelles, le CNSA (Comité national de Secours et d’Alimentation). Diverses personnalités belges et étrangères, notamment américaines, y concourent et obtiennent de l’Entente que de la nourriture franchisse en quantité le blocus naval franco-britannique pour venir soutenir la population belge. Cette demande d’aide rencontre un immense écho aux États-Unis, marqués par les destructions allemandes (comme la bibliothèque de Louvain, nous y reviendrons…) et désireux de soulager la misère de la « Poor little Belgium. »

Ce comité, dont l’organisation est complexe et masque des jeux d’influence, réussit toutefois amplement sa tâche et fournit, durant le conflit 4.3 millions de tonnes de nourriture, qui bénéficient aussi au Nord de la France.

Nous analyserons la prochaine fois les formes de résistance à cette occupation et les réactions allemandes, avant de parler par la suite des forces belges continuant le combat puis nous terminerons par la libération du territoire en 1918.

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

-Informations glanées dans de nombreux musées belges dont le musée In Flanders fields d’Ypres, le Musée royal de l’armée et de l’histoire militaire (Bruxelles), le musée-mémorial de Mons, le musée d’histoire militaire de Tournai et diverses expositions (liens depuis les images).

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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: III) L’occupation d’une grande partie du pays

La reddition d’Anvers et le repli de l’armée belge

Le siège de la grande ville flamande d’Anvers, également l’un des ports les plus importants du pays, débute le 28 septembre 1914. Les Allemands utilisent pour ce faire de très lourdes pièces dont les obus percent les fortifications avant d’exploser. Devant la situation, et alors que le tableau général est assez sombre, le roi Albert décide de quitter la forteresse avec son armée. La décision est lourde de conséquence, mais il craint de tomber aux mains de l’ennemi et, partant, de devenir inutile.

Le matériel, les munitions et tout ce que peuvent sauver les troupes de campagne, sont envoyés dans la ville française de Calais, alors que le sort de l’armée belge de campagne reste incertain. Tandis qu’Anvers tient toujours, le souverain tente de trouver une solution avec son gouvernement, lui aussi replié dans cette localité. Les deux parties se retrouvent finalement sur un autre point de la côte belge, la ville touristique d’Ostende où Léopold II aimait se rendre, dans le « chalet royal ». Là, évidemment, l’heure n’est pas aux activités balnéaires et l’ambiance est même très tendue vu la gravité des faits en cours.

Finalement, les ministres passent en France le 13 octobre avec l’aide de ce pays et Albert, conseillé par Paris, décide de rester dans ce qu’il contrôle encore de territoire belge, pour ne pays envoyer de mauvais signal. Anvers, elle, s’est résignée à la reddition le 10 et ses forces se sont rendues aux Allemands ou ont été se faire interner aux Pays-Bas, pays neutre.

Milice bourgeoise au modèle assez proche de la Garde nationale française, la Garde civique belge fut mobilisée et combattit en 1914, comme le rappelle cette photo conservée au musée « In Flanders Fields » d’Ypres. Cliché de l’auteur: https://data.bnf.fr/fr/12135591/belgique_garde_civique/ https://antredustratege.com/2018/08/01/le-musee-in-flanders-fields-dypres/

Caricature de 1914: « Il faut toujours composer avec les petits ». Document présenté au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr

L’Allemagne occupe presque toute la Belgique

Ce court répit a permis à l’armée de se replier derrière l’Yser, cours d’eau jugé peu gênant par les Allemands, qui attaquent la ligne de défense belge dès le 18 octobre. Toutefois, la résistance est réelle et leurs forces sont elles aussi épuisées par de durs combats depuis le mois d’août; quant aux lignes de communication, elles se sont étirées elles aussi. Finalement, renouant avec des tactiques utilisées au XVIIe siècle, les autorités belges prennent la terrible décision d’inonder toute la plaine côtière, ce qui avait stoppé Louis XIV durant la guerre de Hollande (1672-1678).

Si les Ardennes constituent une région accidentée, la Flandre n’est pas sans répondre en bonne partie au cliché du « plat pays » et la tactique est efficace. Ainsi, les forces du Kaiser sont stoppées, comme partout ailleurs jusqu’en Suisse d’ailleurs. La fameuse « course à la mer » prend fin et les armées vont s’enterrer selon un schéma bien connu le long de cette longue ligne de front. La Belgique, hormis une petite zone autour de Furnes (Veurne) et de La Panne est ainsi pratiquement occupée par les troupes allemandes mais ne s’est pas rendue. Toutefois, la suite de la guerre va se révéler très difficile pour elle.

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DELHEZ (Jean-Claude), Douze mythes de l’année 1914, Paris, Économica, 2013, 144 p.

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: II) L’invasion allemande

Les Allemands rentrent en Belgique 

Nous l’avons vu la dernière fois, l’ultimatum allemand du 2 août 1914 est une terrible surprise pour la Belgique, d’autant qu’il est formulé de manière très brutale. Il affirme que la France va marcher sur le territoire allemand en passant par la Belgique et qu’il est donc nécessaire à l’armée impériale de venir à son secours à la fois pour la protéger (!) et, bien sûr, contrer la menace française. De plus, le délai de réponse (12 heures), est très court.

Malgré la disproportion de moyens évidente, le gouvernement et le conseil de la couronne belges décident de ne pas permettre le passage des troupes allemandes. Outre qu’il violerait les traités internationaux, ce qui est rappelé dans la réponse à l’Allemagne, il est aussi redit que Paris a réaffirmé le 1er août sa volonté de ne justement pas empiéter sur le territoire belge.

Le pays ne se fait aucune illusion sur ses capacités de résistance, mais le roi rejoint le quartier général à Louvain, la mobilisation est décrétée et se déroule bien; enfin la Triple-Entente, dont les membres sont garants des traités de neutralité, va dès lors concourir à la défense de la Belgique. Toutefois, on a dit la modicité des moyens militaires nationaux et, pire, l’armée est mal encadrée, encore en réorganisation, et n’a pas de réelle stratégie, notamment à propos des forts frontaliers comme celui de Liège.

Or, dès le 3 août les Allemands passent la frontière, à Visé, et l’État-major applique le plan, lui, arrêté depuis longtemps et que l’on connaît bien sous le nom de son auteur: Schlieffen. Il vise à contourner via la Belgique les puissantes défenses conçues par Séré de Rivières (voir plus bas) de l’est de la France qui, bien que délaissées, laissent croire à de grandes pertes en cas d’attaque frontale. Dès le 7, la ville de Liège est donc investie et ses défenses, elles aussi anciennes, rapidement conquises: les derniers ouvrages tombent le 16, non sans avoir montré au monde la volonté de résistance du peuple belge. La « cité ardente », elle, est d’ailleurs aussitôt décorée de la Légion d’Honneur.

 

Les Allemands sur la Grand-Place de Bruxelles en 1914. Photo présentée au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr

Image satirique de 1914 (dans « Pourquoi Pas ? ») présentant la réponse de la Belgique à l’ultimatum allemand. Image présentée au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr

L’arrivée des troupes de l’Entente 

Alors que les armées allemandes commettent des massacres dans leur sillage (nous y reviendrons), les troupes de l’Entente entrent à leur tour dans le royaume, pour venir épauler leur nouvel allié. Toutefois, cela se passe de manière plutôt déroutante pour celui-ci: le commandement français, assez méprisant (il va l’être à nouveau en 1940) entend avoir l’armée belge sous son autorité, et se trompe sur la situation. 

En effet, il juge très sévèrement le repli de l’armée royale vers les forts d’Anvers, par étapes successives. Il est en fait vu comme un abandon du territoire, abandon permettant aux troupes du kaiser de foncer sur la France. C’est plutôt que c’est le seul espoir pour la Belgique de regrouper ses forces et garder une assise territoriale bien défendue, au regard de ses moyens. D’ailleurs, le secteur aurait pu constituer un levier pour les troupes de l’Entente si d’autres décisions avaient été prises.

En fait Français et Britanniques perdent du temps, notamment car ils sont forts occupés par leurs propres problèmes, alors que deux sorties depuis la grande ville de Flandre épuisent les hommes d’Albert Ier. Le roi refuse, en un acte d’autorité, qu’une troisième soit tentée et s’apprête à soutenir le siège de la ville. Or, s’ils sont stoppés sur la Marne courant septembre, les Allemands ne sont évidemment pas vaincus et mettent en ligne une terrible artillerie lourde, allant jusqu’au calibre fort respectable de 420mm.

Image satirique de 1914. Document présenté au musée de la ville de Bruxelles dans le cadre de l’exposition « Bruxelles à l’heure allemande ». Photo de l’auteur. https://www.cairn.info/revue-cahiers-bruxellois-2015-1-page-453.htm http://www.brusselscitymuseum.brussels/fr

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DELHEZ (Jean-Claude), Douze mythes de l’année 1914, Paris, Économica, 2013, 144 p.

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

Le fort Séré de Rivières:

https://antredustratege.com/2014/09/02/le-fort-sere-de-rivieres-modele-1874-1875/

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La Belgique dans la Première Guerre mondiale: I) La situation en 1914

Débutons dès à présent un nouveau dossier consacré à la Belgique au cours de la Première Guerre mondiale. D’entrée de jeu, je rappellerai l’importance de cet État durant ce conflit. Bien que doté de moyens militaires limités, son armée eut un rôle certain dans les combats; sa position géographique au carrefour entre Allemagne, France et Royaume-Uni en fit un point de passage primordial; sa neutralité et la dureté de l’occupation qu’elle subit donnèrent lieu à une importante aide matérielle et à un soutien moral sincère, mais aussi lié à la propagande. Bref, c’est un acteur tout sauf négligeable des années 1914-1919. Cette date a été retenue puisque, la paix revenue, il s’agrandit des cantons de l’Est au détriment de son voisin allemand.

Un pays neutre aux moyens militaires limités

Depuis le début de son histoire en tant qu’État, la Belgique, née de la révolution de 1830 dont je reparlerai une autre fois, est un pays neutre, et c’est toujours le cas en 1914. Hors des guerres européennes du XIXe siècle, malgré des combats frontaliers en 1848 (voir liens) et la crainte -sérieuse- d’être mêlée à la guerre de 1870, elle est protégée par son statut et des garants internationaux. En effet, le traité de Londres de 1839, signé par les grandes puissances, consacre cette position et va jouer un rôle en 1914, comme nous le verrons.

Dans la logique des « États-tampons » chers à Paris depuis au moins les traités de Westphalie (1648), elle est censée, avec le grand-duché de Luxembourg, limiter les tensions entre France, Pays-Bas et Prusse (puis Allemagne). Dans la même logique, elle offre au Royaume-Uni la certitude de ne pas être menacée depuis Anvers, que Napoléon, créateur du port, appelait justement « un pistolet braqué au cœur de l’Angleterre ». Cela explique, avec sa superficie réduite, que son armée ait des moyens limités, bien qu’il ne faille pas voir la Belgique comme une nation totalement désarmée et inapte à faire la guerre.

Ainsi, près de 14% du budget sont consacrés à la défense à la veille de la guerre, et des lois de 1909 et 1913, passées difficilement il est vrai, ont permis d’améliorer le recrutement et l’équipement des forces belges, qui peuvent aussi s’appuyer sur des places fortes construites par Léopold II, notamment à Liège. De plus, les Belges ont un vrai savoir-faire en matière d’armement, comme les bonnes productions de la Fabrique Nationale de Herstal ou de la fonderie de canons de Liège le montrent. Toutefois, le temps a manqué: en 1914, l’armée n’a pas du tout terminé sa réorganisation, et ne compte que 190.000 hommes sur le pied de guerre, ce qui semble bien peu face à 3.84 millions de soldats allemands.

Réquisitions d’automobiles à Mons le 1er août 1914. On voit aussi des troupes. Photo de l’auteur (2016), musée-mémorial de Mons. http://www.monsmemorialmuseum.mons.be/

Réquisitions d’automobiles à Mons le 1er août 1914. On voit aussi des troupes. Photo de l’auteur (2016), musée-mémorial de Mons. http://www.monsmemorialmuseum.mons.be/

L’été 1914

Notons pourtant que la guerre n’était pas forcément inévitable. L’histoire scolaire nous a tous appris l’enchaînement des faits survenu après l’assassinat de François-Ferdinand en juin 1914, mais les historiens ont bien montré dans des recherches récentes que l’engrenage a mis des semaines à se mettre en place. En Allemagne, ce sont les membres de l’État-major qui ont fait pression sur le pouvoir civil pour qu’il opte pour une solution guerrière, notamment fin juillet 1914.

Ainsi, en Belgique, la population et le gouvernement n’éprouvent pas une inquiétude trop grande au début de cet été qui va devenir infernal. Le traité de Londres est dans toutes les têtes, et son statut de neutralité avec. S’il y a des moments de plus grande tension, on croit qu’il va être respecté et, d’ailleurs, la diplomatie belge s’est bien gardée d’être trop pro-allemande ou pro-française depuis des décennies, pour limiter les frictions.

Ce n’est que fin juillet que des mesures de mobilisation sont prises (voir photos), devant la tournure que prennent les événements, alors que les diplomates sondent les pays étrangers pour être certains que le territoire belge va rester à l’abri d’une menace. Il n’empêche: l’ultimatum allemand du 2 août 1914 fait l’effet d’une bombe, alors que, la veille, Londres avait demandé à la France et à l’Allemagne si la neutralité belge allait être respectée, sans réponse de la seconde…

Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):

-DELHEZ (Jean-Claude), Douze mythes de l’année 1914, Paris, Économica, 2013, 144 p.

-DUMOULIN (Michel), Nouvelle histoire de Belgique. 1905-1918, l’entrée dans le XXe siècle, Bruxelles, Le cri, 2010, 188 p.

Pour en savoir plus sur la révolution de 1848 et la Belgique:

https://antredustratege.com/2015/12/02/1848-le-combat-de-risque-tout-i-introduction/

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L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre: IV) La fin de la guerre et le retour au sein de la République

Les derniers combats

On l’a vu précédemment: à partir du moment où le front se stabilisa en Alsace et en Moselle, les combats y  revêtirent principalement la forme d’une guerre de position; très dure à supporter, surtout dans les Vosges, et finalement assez chère en vies humaines. Des affrontements sanglants eurent lieu pour la possession de quelques zones stratégiques, comme au Hartmannswillerkopf et au Lingekopf, mais qui ne permirent pas d’emporter la décision.

Finalement, ce front resta assez secondaire dans l’ensemble de la guerre et n’eut pas « son » Verdun ou l’équivalent de la bataille de la Somme, des Flandres etc. La situation évolua peu jusqu’à la fin du conflit. On notera l’arrivée progressive des soldats américains sur le front, à partir du printemps 1917. Ils relevèrent des soldats épuisés et tentèrent de prendre l’offensive, notamment dans les forêts d’Argonne en septembre 1918, là où les assauts français avaient précédemment échoué. Ce fut un échec là encore, car ils se heurtèrent à des positions bien fortifiées, en partie enterrées et solidement tenues par les troupes allemandes qui, là, se défendaient encore efficacement à quelques mois de leur défaite.

En fait, l’issue finale se jouait ailleurs. Après l’échec des offensives de l’été 1918, la situation intérieure de l’Empire allemand évolua très négativement, jusqu’à conduire au retrait du kaiser Guillaume II et aux négociations qui aboutirent à l’armistice du 11 novembre. La reprise de l’Alsace-Lorraine était jugée imminente. Or, à l’heure où ces anciens départements allaient devenir français, il fallut prendre en considération le fait qu’ils avaient été coupés de la France depuis longtemps et aussi que la situation matérielle des populations civiles était fragile. Réquisitions, incorporations, combats sur la ligne de front et hivers rigoureux avaient beaucoup touché l’Alsace et la Moselle durant la Première Guerre mondiale. Voyons donc comment ce retour s’opéra.

Médaille commémorant le retour de l’Alsace et de la Moselle à la France en 1918.  On voit bien un poilu écraser les emblèmes allemands et Marianne aller à la rencontre des populations locales. Hébergée sur Gallica: https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/btv1b10234298k

Le retour des « provinces perdues » à la France 

Si la tension autour des régions cédées en 1871 s’était peu à peu apaisée au tournant du siècle, on a vu que cette question refit irruption dans le débat public au début des années 1910 et, dès 1914, leur retour devint un but de guerre affiché de la France, mais seulement après l’entrée en guerre. A l’inverse de ce que l’on croit souvent, « dans la crise de juillet 1914, qui a dramatiquement débouché sur la guerre européenne, puis mondiale, l’Alsace-Lorraine n’a joué aucun rôle » (1).

Reste qu’en 1918, la guerre gagnée, l’opinion française était favorable à une restitution de cette région, ce qui fut prévu dès l’armistice du 11 novembre. En deux semaines, les troupes allemandes évacuèrent l’Alsace-Moselle et la République y fit son retour très rapidement. Le traité de Versailles de 1919 confirma cette passation de pouvoir, mais qui ne se fit pas sans heurts. En effet, la France expulsa très rapidement les Allemands qui s’étaient installés après 1871 et s’empara de leurs biens: 100.000 personnes étaient concernées début 1920. De plus, les lois de la République furent installées trop rapidement, malgré certains aménagements, dans un espace habitué pendant 47 ans à une monarchie autoritaire, fédéraliste et de langue allemande.

Beaucoup d’Alsaciens et de Mosellans ne parlaient pas le français en 1918 et ces changements brutaux, aussi visibles en matière judiciaire, douanière et au niveau des partis politiques, créèrent un vrai malaise, qui déboucha sur des velléités autonomistes. Seul le temps et la brutalité inouïe des nazis lors de la seconde annexion de 1940-1945 y mirent fin, ainsi qu’une meilleure réintégration de l’Alsace et de la Moselle dans l’espace français puis européen après la fin de la Seconde Guerre mondiale.

(1) ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, p. 137.

A noter une exposition sur le thème évoqué aux archives de de Strasbourg:

https://archives.strasbourg.eu/n/exposition-en-cours/n:146

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts et musées, dont:

https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/

https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

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L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre: III) La guerre de position

Des combats coûteux et peu décisifs

Une fois le front stabilisé, il resta pratiquement tel quel jusqu’à la terrible année 1918. Les combats, quoique très violents et tout sauf sporadiques, ne permirent pas à l’un des deux camps de l’emporter, comme dans les autres secteurs de la guerre à l’ouest d’ailleurs. Quelques lieux emblématiques concentrèrent les plus grands affrontements, notamment le Lingekopf et le Hartmannwillerskopf, sommet d’importance dans les Vosges alsaciennes. Là, en montagne et dans des conditions épouvantables, Français et Allemands se firent face. Y creuser des tranchées, régler les tirs d’artillerie, passer à l’assaut et tout simplement communiquer était rendu difficile par le relief et le climat semi-continental, chaud en été et froid en hiver. Des offensives allemandes et françaises s’y succédèrent durant l’année 1915 pour le contrôle de l’éperon stratégique, qui permettait de bien observer la plaine d’Alsace. Les chasseurs français s’y illustrèrent particulièrement et les pertes totales furent de 30.000 hommes. Cela est certes bien moins « impressionnant » que les batailles comme Verdun mais masque la dureté des engagements, que les monuments, cimetières et vestiges permettent de mieux appréhender encore aujourd’hui.

Après cela, plus aucune attaque de grande envergure ne fut tentée dans la région, et l’on peut faire le même commentaire pour l’Argonne, où les Français avaient attaqué (combats en 1914 et 1915): ils furent repoussés par les défenseurs allemands. Une chanson allemande nommée Argonnerwaldlied évoque d’ailleurs ce front. Enfin, notons tout de même l’installation, en Lorraine cette fois, d’un canon allemand à longue portée qui bombarda Nancy entre 1916 et 1917, avant d’être réduit au silence par les avions français. Nous le verrons, d’importants combats reprirent en 1918 seulement.

 

Mitrailleuse allemande Maschinengewehr modèle 1908. Elle fut allégée en 1915 pour une autre version. C’est un matériel fiable et robuste. Objet conservé au fort de Mutzig. Photo de l’auteur. https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

Tranchées au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

Tranchées au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

Ouvrage au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

La situation à l’arrière, côté allemand

Par contre, ne l’oublions pas, une très grande partie des départements annexés en 1871 resta sous côté allemand entre 1914 et 1918. Ceux-ci durent donc vivre la difficulté d’être à la fois zone de combats et arrière immédiat du front, par où transitaient munitions, ravitaillement, blessés et renforts allemands, ainsi que les prisonniers français (on a dit le rôle de la place de Metz plus haut). Les transferts vers et hors de l’Allemagne y étaient plus faciles que pour les soldats stationnés dans les Flandres, où les lignes de communications étaient plus longues.

Côté humain, les mobilisés dans cette « terre d’Empire » (Reichsland) furent 380.000, dont une très grande partie fut envoyée en Russie pour éviter la fraternisation avec les Français, ce qui put arriver. De plus, l’Empire allemand intensifia de manière très importante la germanisation après l’entrée en guerre, interdisant totalement l’usage du français et confisquant les biens possédés sur place par des ressortissants de la République. La censure fut totale et la vie de plus en plus difficile à mesure que la guerre se poursuivait. Les réquisitions augmentèrent, les pénuries et rationnements aussi alors que le statut futur de l’Alsace-Lorraine était fermement débattu dans les cercles du pouvoir. Jamais élevée au rang d’Etat comme la Saxe ou la Prusse, elle restait en fait une terre de « seconde zone » appartenant à tous les Etats allemands. Bref, les années de guerre furent difficiles pour les Alsaciens et les Mosellans. 

Le Hartmannwillerskopf. Interprété par la fanfare du 13e bataillon de chasseurs alpins. 

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts et musées, dont:

https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/

https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

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L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre: II) Les combats de 1914 et l’arrêt de la guerre de mouvement

Après avoir présenté la situation de l’Alsace-Lorraine en 1914, et rappelé que c’était avant tout un terme administratif allemand, nous allons à présent nous intéresser aux combats de cette première année de guerre. Les deux « provinces perdues » virent en effet les armées française et allemande s’y affronter durement dans la chaleur de l’été, avant que le front ne se stabilise, ce qui mit fin à l’épisode bien connu de la guerre de mouvement, d’ailleurs bien plus meurtrière que les mois qui la suivirent.

Les combats de l’été 1914

Dès le début de la guerre, le gouvernement allemand interdit les journaux d’expression française en Alsace-Lorraine, procéda à l’arrestation des personnalités les plus anti-allemandes et mobilisa les soldats issus de ces régions, à l’instar de ceux qui provenaient du reste de l’Empire. Or, les insoumis furent rares et cette opération se passa dans le calme. La France, elle, en vertu de ses orientations militaires décidées avant guerre, le fameux « plan XVII », attaqua rapidement en direction de l’Alsace-Lorraine: à la fois dans la région de Metz et plus au sud, pour déboucher dans la plaine d’Alsace.

Ces premières opérations constituèrent des succès pour les armes françaises, puisque la résistance ennemie fut maigre les premiers jours. Alors que certains soldats d’un régiment de Saverne passèrent même du côté français, d’importantes villes comme Mulhouse ou Sarrebourg furent un temps occupées. Les réactions locales furent mitigées: plutôt bien accueillis dans les villages restés francophones de Lorraine, les soldats de la République se comportèrent aussi en occupants ailleurs, arrêtant des personnes gênantes et bientôt dirigées vers l’intérieur de la France.

De plus, l’armée allemande était loin d’être vaincue et procédait en fait à sa concentration, avant de partir à l’offensive, ce qui intervint dès le 18 août 1914. Les Français furent rapidement bousculés, souvent rejetés sur la frontière de 1871, voire au-delà. En Lorraine, Nancy ne fut sauvée que grâce à la défense tenace menée de main de maître par le général de Castelnau.

Certains cavaliers français portent encore des cuirasses en 1914 ! Vitrine au musée du fort de Mutzig, photo de l’auteur.

Les fameuses pipes et chopes allemandes…. Musée de Mutzig, dans le fort. Photo de l’auteur.

Assiette commémorative allemande, musée dans le fort de Mutzig, photo de l’auteur.

Képi français du 105e RI, qui combattit dans la région. Photo de l’auteur, musée dans le fort de Mutzig.

La stabilisation du front

En fait, comme partout ailleurs sur le front de l’ouest, le front se stabilisa rapidement, notamment après la victoire française de la Marne, début septembre et qui permit de protéger Paris. Bientôt, incapables de percer  face à la puissance des mitrailleuses ainsi que des canons à tir rapide comme les 75 et 77 mm respectivement français et allemand, les soldats s’enterrèrent dans des tranchées pour se protéger des balles et surtout des éclats d’obus.

Si elles n’étaient au départ que des trous faits à la va-vite, elles se perfectionnèrent rapidement, inaugurant une forme de guerre inédite à cette échelle. En Alsace, les Français avaient gardé la région de Thann et d’Altkirch, où vivaient 55.000 habitants, le reste des deux départements restant aux mains des Allemands. En Lorraine, ces derniers avaient efficacement repoussé leurs ennemis, et le front se situait bien souvent sur le territoire français, au-delà de la frontière fixée par le traité de Francfort. Ainsi, la richesse minière et industrielle de Meurthe-et-Moselle était-elle perdue pour Paris.

De plus, Metz, conservée par l’Empire, gardait sa fonction dissuasive et demeura jusqu’à la fin de la guerre une zone arrière très importante pour Berlin, qui s’en servit comme dépôt de munition et plate-forme de transit pour ses troupes.

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts et musées, dont:

https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/

https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

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