Archives de Tag: Abd el-Kader

La bataille d’Isly, IV sur IV.

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La bataille débute:

La veille de la bataille Bugeaud fait un discours expliquant à ses soldats ce qui se passera le lendemain, comme Napoléon avant Austerliz. C’est assez rare de la part des officiers pour qu’on le note. On peut y entendre que peu importe le nombre de l’ennemi, la victoire sera française grâce à la formation précédemment décrite et dite en « hure de sanglier ». Sidi Mohammed, le chef marocain, occupe certes une bonne position, mais il n’en bouge pas et décide d’y attendre les Français. Abd el-Kader, qui n’était pas présent à la bataille, aurait dit que c’était là une grossière erreur, une faute considérable que d’y planter sa tente. En effet c’était rien de moins que donner un objectif aux français, ce qui ne fallait surtout pas faire! Le fils du sultan se passa de ses conseils.

Le champ de bataille est une steppe typique de la région, traversée par l’oued Isly. A sec en cette saison, il est tout de même un obstacle en raison de ses pentes abruptes. C’est ainsi que, le 14 août, à deux heures du matin, la colonne Bugeaud se met en marche. Elle arrive sur place après 7 heures de marche (!) et aperçoit d’emblée le camp marocain. L’Isly est franchi sans trop de peine et la formation en losange est adoptée. Cavaignac au milieu, flanqué de Bedeau et Pélissier respectivement à droite et à gauche.  Tous ces officiers jouèrent un rôle par la suite, en 1848 ou sous le Second Empire. Au centre de la « hure », Bugeaud avec la cavalerie et le convoi, cible prioritaire des guerriers ennemis qui les pillent. Dans un premier temps la cavalerie marocaine charge. Elle est accueillie par des tirailleurs (l’infanterie légère rompue à cet exercice) précédant les carrés. Il se couchent ensuite pour laisser tirer ceux-ci. On ne sait pas bien comment ils ont ensuite fait pour éviter les chevaux… Toujours-est-il que les carrés formés sur trois rang (et non pas deux comme les Britanniques avaient l’habitude de faire) brisent l’élan chérifien, soutenus dans l’affaire par les pièces de campagne. Celles-ci n’ont toutefois pas un rôle très important. D’ailleurs, une batterie est même forcée d’interrompre le tir, les servants étant terrassés par la chaleur.

Vernet, « La bataille d’Isly », 1846. Crédit photo: wikipédia.

Une victoire française: 

L’attaque ennemie ayant été stoppée avec succès, Bugeaud décide de lancer en avant sa propre cavalerie. Elle parvient jusqu’au camp de Sidi Mohammed et l’occupe, suivie de près par l’infanterie. Seule une partie, sous le colonel Morris, a repassé l’Isly pour prendre l’aile gauche marocaine à revers. Elle est prise plus durement à partie mais les fantassins lui tendent la main et dégagent leurs camarades. Au bout de trois heures la bataille est finie. Les Français perdent officiellement 27 tués et 100 blessés contre 800 Marocains. Mais il y a 1500 malades les jours qui suivent (il fait très très chaud)! Pourtant le résultat est indubitable, c’est une franche victoire de Bugeaud. Ce dernier ne va pas plus loin et son adversaire se replie jusqu’à Taza, c’est à dire à 200 kilomètres de là.
Le Français sait qu’il ne peut rien faire de plus avec si peu d’hommes, surtout en été. C’est ce qu’il dit ultérieurement à la Chambre d’ailleurs. On se contente donc de ravager le pays alentour pendant le retour en Algérie. Quant à Joinville, il bombarde Mogador et l’occupe. Le gouvernement marocain ne peut plus faire autre chose que d’accepter les exigences françaises. Abd el-Kader est mis hors-la-loi et on décide de fixer clairement la frontière (convention de Lalla-Marnia). Ce qui est fait en 1845, mais seulement sur 100 kilomètres à partir de la mer. Toutefois l’émir ne se rendit que trois ans plus tard, après avoir été chassé du Maroc (on craignait qu’il ne soulève les tribus frontalières pour son compte).

Conclusion: 

Le succès est donc entier. Bien sûr les objectifs étaient somme toute limités et plusieurs personnes trouvent que la nomination de Bugeaud comme duc d’Isly (le nom de le bataille rejoint celles des guerres napoléoniennes sur les drapeaux) est un peu exagérée. Mais c’était dans l’air du temps; le russe Paskiévitch est bien fait comte d’Erevan et le britannique Roberts de Kandahar… Ce que l’on ne peut contester est que la formation de Bugeaud fut très efficace et devint un modèle pour les armées coloniales. Elles ne disparut que dans les années 1920-1930, la trop grande évolution de l’armement depuis le premier XIXe siècle rendant le dispositif caduc. On retrouve encore ce modèle à Omdurman (1898, Britanniques contre Soudanais) par exemple…
Les Américains envoyèrent même des officiers étudier les méthodes de la cavalerie française en Algérie, pour s’en servir contre les Indiens. Quant au Maroc, il ne fut occupé qu’en 1904, après l’entente cordiale

Bibliographie:

-Cours de master (Paris-IV).

Pour en savoir plus:

Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.

Les articles sur la prise de la smala:

https://antredustratege.com/2013/09/06/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-i-sur-iii/

https://antredustratege.com/2013/09/07/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-ii-sur-iii/

https://antredustratege.com/2013/09/08/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-iii-sur-iii/

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La bataille d’Isly, III sur IV.

De part et d’autre de la frontière:

Si l’Armée préférerait faire campagne au printemps, la Marine entend agir en été pour bénéficier des meilleures conditions possibles…
On se calque donc sur ses vues et la colonne formée le 5 juin reste 45 jours à Lalla Maghnia  (dont trente en sortie)! Pour tenir, on a ménagé des magasins, on a creusé des bassins pour la rétention d’eau et qui permettent de faire du poste une vraie base arrière. La frontière est franchie à quatre reprises et quelques engagements de peu d’envergure ont lieu. Le sultan ne réplique pas par la guerre et propose de négocier…
Malgré cela, il est séduit par l’idée d’une démonstration avantageuse à ses armes. C’est ainsi qu’il envoie ses forces sur la zone. Il se dit prêt à enfermer Abd el-Kader si les Français évacuent Lalla Maghnia. Bugeaud est d’accord pour ne pas se battre, mais refuse d’abandonner le poste. En effet une reculade serait compromettre les intérêts français dans la zone. Les guerriers algériens relèveraient la tête, à peine pacifiés qu’ils étaient à l’époque. De plus, Bugeaud est certain de remporter la bataille. Pendant ce temps la marine française fait ses démonstrations sur la côte. Elle est devant Tanger en juillet, grande ville commerciale du pays et centre diplomatique (le personnel étranger ne la quitte pas). Bon moyen de pression, donc.  Joinville envoie un ultimatum, lequel est repoussé par le gouvernement marocain, peut-être aiguillé par Londres.

Rivalités entre Marine et Armée:

A noter qu’il y eut une importante correspondance entre Joinville et Bugeaud. On y voit bien la rivalité entre Marine et Armée, à la fois pour des raisons de prestige et de budget. Le premier aurait même été influencé par les dires du second dans son choix d’agir. En effet, le 2 août, il annonce qu’il va se mettre en branle. Bugeaud décide à son tour de passer à l’action, alors même que l’armée marocaine arrive sur la frontière. Le 11 il apprend que son « rival » a bombardé Tanger cinq jours plus tôt (c’est le temps que met la correspondance). Le prince en est fier: il a agi devant les navires de sa gracieuse majesté basés à Gibraltar! Bugeaud estime qu’il faut forcer le destin et choisit la date du 14 août, attendant quelques renforts d’ici là. Avait-il le droit d’engager la bataille? On pense que oui. Soult, ministre de la Guerre, laissait entendre le 22 juillet qu’il le pouvait, à condition qu’il regagne l’Algérie sans s’avancer trop profondément en territoire chérifien. Pourtant, on sait aussi que Bugeaud se vanta au duc d’Aumale d’avoir outrepassé les instructions d’une lettre de Soult reçue peu avant la bataille…

Joseph Vantini, dit Yusuf (voir articles sur la smala). Crédits photo, wikipédia

Les effectifs et les tactiques employées: 

Toujours-est-il qu’à Isly, Bugeaud dispose de 10,000 hommes. Essentiellement des fantassins (8,000), 1,500 cavaliers (chasseurs sous Yusuf et des spahis) ainsi que 16 canons. C’est plus une grosse colonne qu’une armée. L’effectif marocain n’est pas précisément connu et court de 20-25,000 hommes au double suivant les auteurs. Ce sont avant tout des contingents fournis par les tribus guich; c’est à dire devant le service militaire au sultan contre des terres, un peu à la manière cosaque. Il y a également quelques contingents de gardes royaux et un peu d’artillerie. L’organisation est archaïque et l’armement inférieur. Les fusils de ces hommes sont traditionnels, à pierre et non à percussion. C’est à dire que les ratés sont encore nombreux là où une capsule de produit chimique remplace le silex chez les Français. Quant aux canons, les peuples orientaux les utilisent plus volontiers lors des sièges qu’en campagne.
Les cavaliers marocains tentent en fait de briser l’ennemi par leurs charges, mais n’utilisent pour ce faire pas le choc du cheval lancé à pleine vitesse, ils usent plus volontiers d’une sorte de caracole (c’est à dire qu’ils tirent à bout portant avec leurs armes). C’est impressionnant (ils cabrent leurs chevaux), mais peu efficace. En effet Bugeaud met sur pied un gigantesque carré, ou plutôt un losange fait de multiples bataillons séparés les uns des autres et se formant chacun en carré réduit, sur trois rangs. Ils se couvriront ainsi de leurs feux et l’intervalle entre eux sera battu par l’artillerie! La cavalerie et le commandement resteront au centre. On argua qu’en Europe, où la guerre avait évolué, un tel dispositif n’aurait pas marché, mais le fait est que nous ne sommes justement pas sur le vieux continent et l’accusation n’a pas lieu d’être.

Bibliographie:

-Cours de master (Paris-IV).

Pour en savoir plus:

Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.

Les articles sur la prise de la smala:

https://antredustratege.com/2013/09/06/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-i-sur-iii/

https://antredustratege.com/2013/09/07/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-ii-sur-iii/

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La bataille d’Isly, II sur IV.

Le Maroc en 1844

Au XVIII-XIXe siècle le pays demeure donc indépendant (voir article précédent). Il faut dire que Londres y veille. En effet il y a d’une part Gibraltar juste en face (sur la direction de la route des Indes, on passe à pied sec à Suez en l’absence de canal) et de l’autre le pays est un marché réel: les Britanniques y expédient leurs productions textiles, des métaux et même du sucre et du thé. En effet, ces produits n’ont pas encore le caractère ritualisé qu’ils ont aujourd’hui, on commence seulement à les consommer en grande quantité et les Arabes ont plus l’habitude du café qui vient de Moka. Enfin, quelques caravanes se dirigent du Maroc vers l’Afrique noire. C’est peu important, mais existe tout de même. Les Anglais ne veulent ni l’envahir, ni que les autres le fassent à leur place. En 1830 les Français n’ont guère de soucis diplomatiques avec le Maroc, lequel est même plutôt content d’être débarrassé des Turcs voisins (ils contrôlaient l’Algérie par le biais d’une régence). Hors une tentative d’agrandissement en direction de Tlemcen, il n’y eut pas de frictions.

La marche vers la guerre:

Ce qui complique les choses, c’est la position d’Abd el-Kader, réfugié dans le pays après ses échecs face aux Français (la prise de sa smala l’an passé par exemple, liens plus bas). De là se pose la question du « droit de suite : les français peuvent-ils le poursuivre là-bas? Juridiquement Paris veut bien que le sultan le reçoive, mais s’il est interné et non qu’il utilise ses terres comme d’une base arrière. Car l’émir a même reformé un camp (de moindre envergure que la smala, certes): la deïra. Or, si l’empereur chérifien ne veut pas de guerre avec la France, il ne peut se résoudre à traiter Abd el-kader comme un ennemi. D’ailleurs les élites de son pays lui sont favorables. Mais si l’ire des français serait terrible, plusieurs dynasties sont tombées dans le passé, pour n’avoir agi vigoureusement contre des menaces extérieures. Il y va donc de sa crédibilité. Ainsi, en 1844, des incidents de frontière éclatent autour du poste français de Lalla-Maghnia. Situé à seulement 25 kilomètres de la ville d’Oujda, il comporte une importante garnison et sa présence est vécue comme une menace. Soldats français et guerriers marocains s’accrochent à plusieurs reprises. On juge alors en haut lieu qu’il faut faire une démonstration de force pour impressionner le Maroc et l’amener à entendre raison.

Le prince de Joinville, le plus marin des fils de Louis-Philippe. Il vint chercher Napoléon pour le ramener à Paris en 1840. Crédits photo: Wikipédia.

D’une part une colonne est placée sous le commandement de Bugeaud, et d’autre part une escadre opère sous les ordres de Joinville, le troisième fils du roi Louis-Philippe et le marin de la famille. Le but n’est pas de conquérir le pays, Londres ne verrait pas cela d’un bon œil (en pleine entente cordiale-la première- d’ailleurs, ce serait du plus mauvais effet)… En fait il s’agit « juste » d’abattre la prétention des Marocains qui se considèrent comme une puissance militaire non négligeable. En effet le pays a jusque là réussi à se défendre avec succès contre les envahisseurs, ce qui ne le rend pas des plus enclins à la négociation.

Bibliographie:

-Cours de master (Paris-IV).

Pour en savoir plus:

Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.

Les articles sur la prise de la smala:

https://antredustratege.com/2013/09/06/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-i-sur-iii/

https://antredustratege.com/2013/09/07/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-ii-sur-iii/

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La bataille d’Isly (1844), I sur IV.

Les adversaires: 

La bataille d’Isly eut lieu en 1844 et opposa les troupes marocaines aux troupes françaises. Elle est liée à la lutte des seconds contre Abd el-Kader, événements que j’ai déjà abordés avec les articles sur la prise de la smala (lien en fin de page). D’un coté on trouve Bugeaud avec une partie de l’Armée d’Afrique, et de l’autre les troupes chérifiennes, sous Sidi-Mohamed, fils de l’empereur du Maroc Abd er-Rahman. Le premier est donc Thomas-Robert Bugeaud de la Piconnerie. Né en 1784 dans une famille noble et pauvre, il n’a pas fait d’études. Il n’est en effet même pas certain qu’il ait su écrire lui-même… Toujours est-il qu’il s’engage tôt, aux alentours de 1800. L’homme est caporal à Austerlitz.. Endurant, courageux, intraitable, duelliste à l’envi (et habile à cet art); il fait la guerre d’Espagne, assez proche de ce qu’il aura à affronter en Algérie. En effet des deux côtés on trouve l’élément religieux, la guérilla, la violence. En 1815 il est mis en demi-solde comme beaucoup d’autres (une retraite forcée avec la moitié de la solde) et ne reprend sa carrière qu’en 1830. Il traîne derrière lui l’image d’un soldat politisé. En effet, il est notamment chargé de garder la duchesse de Berry (qui avait tenté de soulever l’ouest catholique contre le régime de Louis-Philippe). Bien sûr, il en est peu à lui faire la remarque en face, du fait de sa manie à provoquer en duel.Il est même député, et siège à la Chambre.

Le maréchal Bugeaud. Peinture conservée à Versailles. Crédits photo: wikipédia.

Au départ il n’est pas partisan de la conquête de l’Algérie qu’il juge coûteuse, qui éloignerait l’armée du Rhin, menace bien plus importante à ses yeux, pour finalement pas grand chose à l’arrivée. En 1834 et 1836 il est tout de même envoyé sur place où il s’avère efficace. Quatre ans plus tard il est déjà gouverneur général de l’Algérie! En 1837 on l’avait accusé d’avoir touché de l’argent d’Abd el-Kader pour payer sa campagne électorale… Cela ne semble pas fondé mais les généraux le considèrent tout de même avec un certain mépris, quelque réticence. A l’un de ses collègues lui affirmant qu’il n’avait pas besoin qu’on lui apprenne son métier, depuis toutes ces années qu’il avait passé en Algérie… Il répondit que le mulet du maréchal de Saxe avait beau avoir suivi son maître dans vingt campagnes, il n’en restait pas moins un mulet! Bugeaud était en fait plus populaire parmi les bas officiers et la troupe…  Ce furent ses méthodes, son système de colonnes mobiles par exemple (où les troupes sont plus mobiles et légères), qui amenèrent l’émir Abd el-Kader, grand figure de la résistance aux Français à reculer, au Maroc, donc.

A cette époque l’empire chérifien est considéré comme affaibli, mais garde une certaine vitalité. En effet il a toujours connu des dynasties nationales, le souverain est sultan et commandeur des croyants. C’est à dire le premier des musulmans de son pays, sur le modèle du souverain du Royaume-Uni, toutes proportions gardées. Ainsi, dans les mosquées, on dit la prière en son nom, alors que les pays voisins invoquent plutôt le sultan de Constantinople. De plus, l’empire marocain est encore homogène, avec une assiette territoriale quasiment fixée. En effet les Turcs ne l’ont jamais conquis et et les Espagnols ne possèdent que quelques présides sur la côte…

Mais la grande question qui demeure est: as-tu vu la casquette du père Bugeaud? Réponse ci-dessous.

Bibliographie:

-Cours de master (Paris-IV).

Pour en savoir plus:

Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.

Les articles sur la prise de la smala:

https://antredustratege.com/2013/09/06/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-i-sur-iii/

https://antredustratege.com/2013/09/07/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-ii-sur-iii/

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La prise de la Smala d’Abd-El-Kader (le 16 mai 1843) III sur III.

La smala est repérée: 

On marche alors de nuit et Yusuf réduit au silence 11 des 12 donneurs de signaux ennemis capturés (un seul est laissé en vie et doit aller porter la nouvelle aux tribus, pour l’exemple). De plus, un esclave échappé de la smala tombe opportunément entre les mains de la colonne, colonne qui apprend que la ville de tentes s’échappe vers l’est, et doit s’arrêter au point d’eau de Tagrim. D’autres captures confirment bientôt la chose et le duc décide d’attaquer le susdit point. Soit la smala sera capturée, soit on la canalisera vers l’ouest pour qu’elle tombe, peut-être, entre les mains d’une autre colonne (qui n’est toutefois pas au courant. Les communications de l’époque étant ce qu’elles sont). Pour aller plus vite il décide de séparer sa troupe en deux, opération risquée s’il en est!

Il ne prend avec lui que la cavalerie, l’artillerie montée sur mulets et une partie des Zouaves qui se sont débarrassés de leur barda. La petite unité marche 24 heures et commence à manquer de boisson, lutte contre une tempête de sable. Le découragement point. Obliquer vers un point d’eau et surseoir à l’opération semble être le meilleur parti à prendre.
C’est à ce moment que des éclaireurs avertissent le commandement qu’ils ont repéré la smala. Un conseil est réuni pour décider de la marche à suivre. Aumale hésite, Yusuf assène qu’il faut saisir la balle au bond; les guides arabes (qui ont peut-être de la famille là-bas) parlent, eux, de reculer… mais leurs paroles ont plutôt l’effet inverse de ce qu’elles visaient à produire et excitent l’ardeur guerrière. Enfin, les officiers du duc craignent pour sa vie (il est le fils du roi et fort jeune, je le rappelle) . Le colonel Maurice, l’un des chefs, rejoint alors Yusuf et déclare qu’il est temps d’agir sous peine de voir l’occasion passer, voire même que les Arabes prennent conscience de la présence française et attaquent. Aumale finit par trancher le nœud Gordien: « Je ne suis pas d’une race à reculer, vous allez charger » (propos rapporté par le général Du Barail dans ses fameux Souvenirs).

Le général du Barail, auteur des fameux « Souvenirs » qui aident à bien comprendre la mentalité militaire d’une bonne partie du 19e siècle. Crédit photo: wikipedia.

Attaque de la smala et conclusion:

Par chance pour lui, Abd el-Kader était parti du camp avec ses meilleures troupes et lieutenants, le seul restant étant assez timoré. Ainsi, l’effet de surprise bat son plein et la colonne passe à l’attaque sans avoir été repérée, alors que le camp n’était même pas totalement installé. En une heure et demie la messe est dite : la smala est disloquée au prix de 9 morts et dix blessés français, selon les rapports. Beaucoup d’Arabes fuirent et un nombre important de ceux-ci fut capturé. Dès le 17 un convoi est organisé pour leur transfert, ainsi que celui du butin, qui est considérable. Le lendemain, la colonne repart. Les victimes algériennes se comptent au nombre de 300 et Aumale est loué pour son « humanité », du moins par les Français (et eux seuls évidemment). En fait une partie importante des survivants mourut de sa fuite dans la steppe, manquant d’eau et de nourriture. Beaucoup furent également razziés par diverses tribus, voire même la colonne de l’ouest. Celle d’Aumale a ramené avec elle 3500 prisonniers, dont des proches de l’émir (mais pas sa famille). Saint-Arnaud (le futur ministre de la Guerre de Napoléon III, formé en Algérie comme la plupart de ses contemporains, voir ici) loua « la hardiesse admirable de ce coup ». D’autres crieront à la tentative risquée, arguant que la résistance organisée du camp eût été catastrophique pour Aumale. Bugeaud lui-même fut plutôt favorable (il fallait effectivement brusquer les choses selon lui), mais pas exempt de remarques.

Le butin est considérable, on l’a dit: l’état en revendit une partie. Pour avoir une idée de la chose, il faut rappeler la rumeur qui circulait alors: les spahis auraient empoché chacun l’équivalent de 1500 francs. C’est à dire trois ans de salaire d’un ouvrier! Alors que penser de la part des officiers? Et de tous ceux qui se sont servis entre l’Algérie et la vente par l’état? Toujours-est-il qu’Aumale est promu général de division et succède à Bugeaud à son poste de gouverneur de l’Algérie en 1847. Yusuf est fait commandeur de la légion d’honneur. Abd El-Kader sort évidemment affaibli de l’affaire, mais non détruit; il ne se rendit en effet que quatre ans plus tard. L’épisode est tout de même important, qui suscita le gigantesque tableau de Vernet au salon de 1845.

Horace Vernet, « La prise de la smala », 1845.

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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La prise de la Smala d’Abd-El-Kader (le 16 mai 1843) II sur III.

Description de la smala:

Au départ l’émir disposait de capitales à la lisière du Tell (la zone littorale) et des hauts-plateaux, mais les Français les prirent les unes après les autres. D’où sa volonté de créer une capitale mobile dès 1841, un ensemble qui se déplacerait constamment. Pour l’historien Jacques Berque la symbolique est forte, qui permettrait de renouer avec la tradition ancestrale des cavaliers-conquérants arabes… En effet l’émir insistait fortement sur la liberté des nomades. De plus il faut savoir qu’il s’y connaissait bien en chevaux et écrivit même sur les purs-sangs arabes après sa reddition.
Ainsi, cette ville de tentes se déplace en convoi et s’installe en cercles (douars) concentriques d’une quinzaine d’unités. Ceux qui ont visité cette fameuse smala attestent de sa bonne organisation, police intérieure. Elle aurait compté 368 douars. Le duc d’Aumale, voir plus bas, parle d’un ensemble de 20.000 personnes et Abd el-Kader de 60,000. En fait le duc n’aurait peut être pris qu’une partie de l’ensemble, ce qui expliquerait la différence. La smala disposait d’artisans, d’une vie religieuse, soit un système rodé. Elle se ravitaillait par troupeaux, par achat de céréales dans le nord. Malgré tout, cet ensemble restait difficile à repérer car fréquentait plus volontiers les hauts-plateaux (largement plus difficiles d’accès et inhospitaliers) qu’autre chose. On se contentait alors de bloquer les accès de ceux-ci vers le Tell. C’est dans l’un de ces postes, Boghar, qu’était établi le duc d’Aumale. A cette époque la smala était plus mythique qu’autre chose… Toutefois, le fameux colonel Yusuf (cf plus bas) convainc Aumale que l’affaire est potentiellement juteuse et permettrait d’affaiblir Abf el-Kader…

Henri d’Orléans, duc d’Aumale.

Aumale et son entourage:

Cinquième fils de Louis-Philippe, envoyé à dessein en Algérie avec le grade de général de brigade, le jeune Aumale, âgé de 21 ans, se verrait bien réussir quelque coup d’éclat. D’autant plus que son entourage le juge plutôt courageux. Il est donc entouré du mystérieux Yusuf, apparu sur la scène algérienne en 1830, comme interprète de Tunis. Il réussit à se faire apprécier grâce aux services (il est nommé commandant des Spahis, ces fiers cavaliers) qu’il rend, bien qu’il soit auréolé de brume. L’homme prétend en effet être un ancien mamelouk ( soi-disant arraché à une famille chrétienne) du bey. Il aurait été forcé de fuir, s’étant amouraché de la fille du dirigeant tunisien. Certains le disent levantin de basse extraction, et d’autres le taxent de judaïsme, ce qui est suffisant pour être méprisé par beaucoup à l’époque (ne jugeons pas avec nos yeux actuels, pareil comportement est courant au XIXe siècle!). Toujours est-il que le personnage est réellement un arriviste. Volontiers flagorneur, il passe également pour intéressé. D’ailleurs, il n’est pas le dernier à piller. Il aurait donné à ses soldats une récompense pour les paires d’oreilles, puis les têtes (pour s’assurer de leur mort) des ennemis. Cette réputation permet aux Français de se décharger sur lui. Mais il est utile et connaît l’art de s’entourer: il accueille dans son régiment des gens qui veulent se faire oublier en France. Parmi eux, un certain Fleury, qui fut ultérieurement le conseiller de Louis-Napoléon pour son coup d’état! Près d’Aumale on trouve aussi Ameur Ben Ferhat, combattant du coté français avec ses cavaliers. Mais également l’étonnant Ismail Urbain, métis de Guyane proche des Saint-Simoniens (le socialisme de l’époque grosso modo, Napoléon III était touché par ces idées lui aussiet converti à l’Islam (lors d’un voyage en Égypte), Prônant une générosité à l’endroit des Arabes, il fut évidemment proche de Napoléon III, précurseur (et quasi-unique prêcheur) en la matière (de Gaulle le rappela en son temps). Urbain est à ce moment interprète auprès du duc, ayant une parfaite connaissance écrite et orale de l’arabe.

On pense donc à s’emparer de la smala avec 13.000 fantassins, 600 cavaliers (Spahis et Chasseurs d’Afrique) plus 30 gendarmes, une section d’artillerie, un goum (sous Ben Ferhat, ces unités étant des troupes locales. Au Maroc on parle de Tabors) et un convoi de 800 chameaux portant 20 jours de vivres. Le 10 mai la colonne s’ébranle, quitte Boghar et cinq jours plus tard apprend la présence de la smala à 60 kilomètres au sud…

Spahis. Crédits photo:  stock encyclopédie

 

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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La prise de la Smala d’Abd el-Kader (I sur III)

Introduction:

Ce sujet est un épisode intéressant de l’histoire du XIXe siècle, car autour de cet évènement ponctuel, on peut retracer tout un ensemble historique, une certaine ambiance. Tout d’abord que veut dire ce terme de « smala », jusque là inconnu en Français? Et bien en Arabe cela désigne un camp. D’après un manuel du temps, c’est en fait la caravane d’un chef avec sa famille, domestiques et esclaves, ses biens. Le Duc d’Aumale (l’un des fils de Louis-Philippe, dont on va voir l’implication dans le sujet sous peu) rajoute que c’était « une capitale ambulante, un centre d’où partaient tous les ordres, les décisions importantes ». Un grand nombre de familles faisaient partie de celle de l’émir rebelle. Or, quand la nouvelle de sa prise arriva à Paris le 26 mai, le roi ne savait pas ce que ce terme voulait dire! Pas plus que son entourage… Il lui fallut attendre quelques temps avant d’avoir l’explication.

Abd el-Kader: 
Mais commençons par le commencement… Abd el-Kader est né vers 1808 à Mascara, dans l’ouest algérien. Il a donc 35 ans au moment des faits. Il vient d’une famille arabe de notables religieux (si les arabes influents ne le sont pas, c’est qu’ils sont des guerriers.). C’est à dire des gens de lettres ayant une certaine sacralité qui les fait vivre (mais également des terres et troupeaux). En effet, on prête même des miracles à ces catégories de personnes. Mais seul Dieu étant saint dans l’Islam, l’émir refusait cette image que l’on avait de lui.
Le pays est, à sa naissance, sous la coupe des Turcs, qui gardent un certain prestige (ils ont empêché les Espagnols de prendre possession du pays, le sultan est alors le chef de l’islam, soit le commandeur des croyants) mais dont l’occupation est mal acceptée. D’autant plus qu’ils ont un certain mépris pour les Kabyles et les Arabes . Sa famille est donc vue par l’occupant turc comme subversive et son père juge que le moment est bien choisi pour effectuer le pèlerinage à la Mecque (hadj). Pour ce faire ils passent également par l’Égypte où le jeune Abd-el-Kader est marqué par les effets de la politique de Méhémet Ali ( le chef de l’Egypte, qui s’inspire de Napoléon contre qui il s’était battu). C’est peu après son retour en Algérie que les Français y posent pied (d’abord sur la bande littorale uniquement), expulsant les cadres turcs du pays, qui sombre ainsi dans le chaos. Deux ans plus tard, en 1832, il est proclamé émir par les tribus arabes de l’ouest, sa région. Vraisemblablement pour ses qualités et son influence. Il regroupe autour de lui la province d’Oran et présente essentiellement sa lutte comme étant religieuse: un musulman ne peut tomber sous la coupe d’un souverain étranger.
S’il est patriote, il faut se garder de faire de lui un nationaliste Algérien, ce serait par trop anachronique. Il a tout de même la volonté à créer un nouvel état, au sein des frontières de l’ancienne régence d’Alger, occupée par les Français. Que pensaient ces derniers de lui? Et bien, on le rappelle, le gouvernement n’a d’abord pas de politique cohérente vis à vis de l’Algérie. Le pays a été occupé un peu par défaut après l’expédition d’Alger (elle-même lancée par Charles X pour restaurer son prestige à peu de frais), par peur du déshonneur qu’il y aurait à abandonner une conquête. Les arguments économiques et autres servent plutôt de justification postérieure. Beaucoup estiment en fait que la domination française est possible par l’intermédiaire des chefs locaux, d’où négociations et traités.

Abd el-Kader

Contre les Français: 

Deux concernent Abd-el-Kader ; le premier en 1834 (Desmichels, du nom de son signataire français) et le second en 1837 (Tafna ou Bugeaud). Ils établissent en principe de bonnes relations, mais sont en fait ambigus, signés avec arrière pensée tant du coté français qu’algérien. De plus la version Arabe et son homologue française ne coïncident pas tout à fait. La seconde fait grosso modo, d’Abd El-Kader un sujet de la France alors que la première le voit comme indépendant. La situation se dégrade en 1839 quand un territoire, considéré comme étant à l’émir dans la version arabe du traité, est envahi.

Abd El-Kader décide d’intervenir à ce moment là, de passer à l’action armée. Et si les circonstances internationales avaient été autres, il aurait pu réussir. En effet une crise en Europe obligerait la France à disposer son armée sur le Rhin par exemple. Au lieu de cela, le gouvernement de Louis-Philippe se retire à cette époque un peu honteusement de la crise d’Égypte de 1840 (la France soutient l’Egypte révoltée contre la domination ottomane, qui a l’appui de l’Angleterre. Une guerre est évitée de justesse). C’est à dire que l’armée (qui avait crû du fait des troubles) se trouvait inemployée, et fut donc envoyée en Algérie. On parle là de 80,000 (puis 100,000 en 1847) bons soldats à l’action coordonnée par Bugeaud dès 1840, personnage dont je reparlerai dans d’autres articles. L’émir se rend bien vite compte que les contingents algériens ne sauraient tenir tête aux troupes régulières de l’armée française. Il lui manque de l’artillerie, des fusils modernes, une logistique forte (ses guerriers ne venaient qu’avec quelques jours de vivres), sans parler de l’organisation tactique. L’idée est donc de faire une guerre de harcèlement, pour pallier à ces difficultés. On attaquera donc colonnes et postes isolés, pour les dégoûter peu à peu. C’est ce qu’Abd el-Kader dit à Bugeaud dans une lettre de 1841. Ce dernier réagit, notamment en créant des postes de ravitaillement un peu partout. Certains sont en dur et d’autres surnommés « biscuit-ville » (comme son nom l’indique, le biscuit est un pain cuit deux fois), car formés en partie avec les caisses vidées du fameux aliment! D’ailleurs les soldats sont assez mal nourris et la viande est rare, sous forme essentiellement séchée quant elle existe. C’est pourquoi on vit encore beaucoup sur le pays. La mortalité est forte dans ces étapes de 30-40 km avec autant de kilos sur le dos…

Le maréchal Bugeaud.

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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