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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : VIII) Conclusion

L’heure de la conclusion. Merci à tous de suivre ces travaux et bonne fin d’année à tout le monde !

Des campagnes chères et assez mal menées 

Au final, les tentatives italiennes de conquête de l’Ethiopie se sont révélées être des campagnes coûteuses, menées à une grande distance de la métropole, et ce malgré la possibilité de s’aider des deux autres colonies que sont l’Érythrée et la Somalie. La première fois, l’échec s’avère plus symbolique qu’autre chose mais a un grand retentissement en Europe et marque les décideurs en Italie. Si l’on a vu que « venger » Adoua n’est pas le motif principal de l’attaque mussolinienne de 1935, il a tout de même joué.

Là, les forces armées du dictateur ne l’emportent que par une débauche de moyens contre un adversaire qui en est dépourvu. Pierre Milza (voir bibliographie) analyse très bien la volonté de nombreux dignitaires fascistes de venir récupérer de la renommée à peu de frais en Ethiopie, notamment en servant dans l’aviation et en bombardant l’adversaire. Celui-ci n’ayant pratiquement pas les moyens de se défendre contre ce type d’attaque, on imagine bien le peu de dangers encourus par les auteurs de telles actions. Ainsi, Bruno et Vittorio Mussolini, les propres fils du dictateur, servirent dans l’arme aérienne durant ce conflit, et on pourrait multiplier les exemples.

Reste que ces guerres ont coûté très cher, ont vu des crimes contre les Éthiopiens être commis, et ce pour un résultat somme toute médiocre car, malgré la résistance évoquée, l’Ethiopie est perdue dès 1941. Le commandement n’a pas été excellent, mais la position géographique n’a pas aidé non plus, la zone étant cernée de colonies britanniques. Notons toutefois qu’une victoire de l’Axe aurait peut-être entraîné un autre avenir pour l’Ethiopie italienne, notamment car le négus était prêt à négocier avec ses ennemis italiens.

Vidéo de propagande de l’Institut Luce: départ de colons pour l’Ethiopie en 1938.

Conséquences directes 

D’ailleurs, Paoletti et Avenel affirment qu’il appréciait l’effort de construction de ponts et de routes entrepris par ceux-ci. Lorsqu’il reprend le pouvoir, il ne peut empêcher quelques massacres d’Italiens dans son pays, malgré une proclamation de pacification. En effet, des colons étaient venus s’installer sur place (voir vidéo en exemple). Pour un éclairage différent, on pourra se référer aux articles de journaux de Malaparte, qui écrivait alors pour le Corriere della sera. Venu en 1939 là-bas, il laisse de très beaux écrits de ce pays alors sous occupation italienne. Le tout est paru en français chez Arléa sous le titre Voyage en Ethiopie. 

Le sort des prisonniers de guerre italiens est assez commun: malgré quelques violences exercées contre eux par les Éthiopiens, ils sont confiés aux Britanniques et envoyés en camps de prisonniers. Ils y finissent la guerre sans trop de problèmes. Notons toutefois que c’est en détention que meurt en 1942 l’ancien vice-roi déjà cité, le duc d’Aoste. Par contre, le destin des auxiliaires locaux des Italiens, les ascari, est souvent plus violent lorsqu’ils ne sont pas parvenus à s’éclipser au moment de la reddition pour rejoindre leurs régions d’origine: ils étaient vus comme des traîtres. La plupart des colonisateurs, eux, sont rapatriés en Italie en 1942-43, bien que des minorités et des écoles se soient maintenues sur place par la suite.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.

Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:

-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : II) Les combats de 1895-1896 et la bataille d’Adoua

L’entrée en campagne

On l’ a vu, au début des années 1890, les relations italo-éthiopiennes se sont progressivement dégradées. De plus, Ménélik a fait appel à de l’aide venue de France: des conseillers, d’anciens officiers, mais aussi des achats d’armes (fusils et canons). Les ingérences italiennes le lassent et il espère se passer de leur présence envahissante.

Le point de non-retour est atteint fin 1894-début 1895: des affrontements encore limités ont lieu entre les deux armées. Les combats sont assez indécis car les distances sont très grandes, le réseau de routes balbutiant, les pluies et la nature du terrain empêchent d’aller vite. Si le détail des accrochages entre patrouilles nous intéresse peu ici on retiendra que, les mois passant, l’affaire tourne à l’intervention militaire en bonne et due forme de la part du gouvernement de Rome. Le négus a fait savoir qu’il ne tolérerait plus la moindre présence italienne en Ethiopie, et l’équipe de Crispi a décidé d’envoyer un véritable corps expéditionnaire soutenir les actions du général Baratieri qui commande sur place.

Le coût financier est très grand car le théâtre des opérations est loin de l’Italie et le climat ainsi que le terrain ne sont pas favorables à une campagne militaire. Toutefois Crispi désire désormais une grande bataille contre les Éthiopiens. Il espère une victoire retentissante qui lui permettra de faire taire les critiques qu’il essuie au parlement et décider ainsi du sort de la campagne.

Le

Le « Petit Journal » du 28 août 1896. Le supplément illustré du dimanche évoque à plusieurs reprises la défaite italienne.

La bataille d’Adoua 

Là encore, les semaines passent et l’indécision domine: les plans ne sont pas très précis, les engagements nombreux et sans grands résultats. Les Éthiopiens, au fil des mois, ont eu le temps de se renforcer, mais les deux armées souffrent de grands problèmes d’approvisionnement et de logistique. Finalement l’affrontement voulu par Crispi va se dérouler début mars 1896 à Adoua, dans la région du Tigré. La place est assez proche de la colonie italienne d’Erythrée vers où se sont retirées les forces italiennes et les renforts sont attendus d’un jour à l’autre depuis la métropole.

Baratieri a placé ses hommes sur une position plutôt bonne et facile à défendre. Il dispose de près de 18.000 hommes et 56 canons, mais sans cavalerie. Face à lui, 120.000 hommes, dont une partie non négligeable a des fusils, et 46 canons. Outre cette infériorité numérique criante, résultant d’une assez bonne concentration des forces du négus, les troupes éthiopiennes connaissent très bien le terrain et vont bénéficier d’une erreur du commandement italien.

Celui-ci a en effet dangereusement séparé ses forces déjà limitées, en trois colonnes qui se sont trop éloignées les unes des autres. Elles sont donc attaquées successivement et battues, même si les combats durent des heures et que les Italiens se défendent bien. D’ailleurs s’ils perdent près de 6000 hommes dans l’affaire, soit un tiers de leurs effectifs, ils tuent 5.000 éthiopiens et en blessent le double. De plus, ils peuvent retraiter en bon ordre vers l’Erythrée et ce n’est pas une déroute. 

Conséquences

Là ils sont rejoints par les fameux renforts arrivés d’Italie, suffisamment nombreux et armés pour dissuader Ménélik d’attaquer. Adoua n’est donc pas une catastrophe comme elle est parfois décrite, et une reprise de l’offensive avec ces troupes fraîches était tout à fait envisageable.

Toutefois, entre temps, le gouvernement Crispi est tombé et la défaite a eu des conséquences symboliques qui dépassent son propre cadre militaire. Si ce n’est pas la première fois qu’une armée européenne a subi des revers en Afrique, elle permet à Ménélik d’asseoir son autorité et de négocier en position de force avec les Italiens dont on a dit le changement de gouvernement. Celui-ci se recentre alors sur les difficultés intérieures et se tourne vers d’autres horizons.

L’Ethiopie reste donc indépendante, et ce jusqu’à la conquête réalisée en 1935-36 que nous verrons dans les semaines qui viennent.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Pour les mutations longues et le cadre proprement italien:

-PECOUT (Gilles), Naissance de l’Italie contemporaine. 1770-1922, Paris, Armand Colin, 2004, 407 p.

Sur les armes, le matériel et les opérations, un bon fascicule Osprey:

-MCLACHLAN (Sean), Armies of the Adowa Campaign, 1896, Oxford, Osprey publishing, coll. « Men-at-arms », 2011, 48 p.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : I) Introduction

Voici venu le temps d’ouvrir un très long dossier sur les Italiens et l’Ethiopie, qui ira de la défaite retentissante d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale. Il sera l’occasion d’évoquer les appétits coloniaux du jeune Etat italien, la conquête sanglante du pays réalisée par Mussolini, avant de revenir sur les combats en Ethiopie alors qu’il lance son pays dans la guerre aux côtés de Berlin. Cette introduction va avoir pour but de présenter le contexte dans lequel la relation troublée entre les deux pays débute.

L’Italie, un Etat arrivé tard dans la course coloniale

Etat unitaire formé à la suite des guerres du Risorgimento, et rêvant encore de certaines terres peuplées d’Italiens (Trentin, Frioul…), l’Italie est jeune dans les années 1880, et souhaite être intégrée dans le concert des grandes puissances. Or, sans manquer d’atouts, elle porte encore à cette date de nombreuses faiblesses: une séparation assez nette entre un nord en pleine industrialisation, et à la vie culturelle bourgeoise bien vivante…  Et un sud plus rural, où les grands propriétaires et un certain archaïsme règnent encore, d’ailleurs favorisés par un certain dédain des grandes métropoles comme Turin ou Milan à son égard. De plus, l’Italie n’est qu’incomplètement industrialisée, manque de charbon et autres produits miniers essentiels des révolutions industrielles. Enfin, ses armes n’ont pas eu un succès retentissant dans des guerres comme celle de 1866 contre l’Autriche.

Les groupes dirigeants et les cercles influents proches du pouvoir cherchent donc à l’étendre pour des raisons de prestige (les grandes puissances se doivent d’avoir des colonies pour certains), augmenter ses débouchés commerciaux et accéder à des sources de matières premières. Pourtant, si la Méditerranée semble le meilleur et plus proche théâtre pour ce faire, c’est aussi une région où règne l’influence prépondérante de la France et du Royaume-Uni ainsi que celle, déclinante, de l’Empire Ottoman. D’ailleurs, Paris s’est emparée de la Tunisie au grand dam des Italiens dans les années 1880, et l’heure d’attaquer les possessions turques n’est pas encore arrivé (c’est la guerre de 1911). Il faut donc trouver une autre région.

Francesco Crispi (au centre), en 1888. C'est l'un des chantres du colonialisme italien.

Francesco Crispi (au centre), en 1888. C’est l’un des chantres du colonialisme italien.

Des visées sur la Corne de l’Afrique: 

Le repli s’effectue vers la mer Rouge et la Corne de l’Afrique: l’Italie est arrivée tard dans la course coloniale, mais ces espaces ne sont pas encore tous soumis à l’influence européenne. De plus, avec l’ouverture du canal de Suez en 1869, ces côtes s’avèrent stratégiques, notamment car situées le long de la route vers l’Inde et la Chine d’un côté et le Méditerranée de l’autre.  L’Italie achète donc des bases sur la côte d’Érythrée en 1882, et entre ainsi dans le partage de l’Afrique. Au cours des années suivantes, elle étend ses possessions par la force et la diplomatie, avec quelques déconvenues qui n’empêchent pas la progression.

Cette politique est en grande partie voulue par quelques groupes, dont des parlementaires intéressés par l’aventure de conquête, un peu comme l’informel « Parti colonial » d’Eugène Etienne dans la France de la même époque. C’est à dire qu’elle n’a pas l’assentiment de tout le pays, d’ailleurs grandement rural et très peu associé aux décisions ni même aux votes jusqu’aux réformes de Giolitti. Ces visées coloniales ne sont d’ailleurs pas plus voulues de toute la classe politique, comme dans d’autres pays. Songeons, en France, aux joutes verbales de l’époque entre Jules Ferry et Clemenceau à ce sujet…

Toutefois, c’est à la fin des années 1880 que les Italiens entrent en contact avec les chefs qui se partagent le pouvoir en Ethiopie. L’Etat est très ancien, pourtant, le pouvoir central n’y est pas toujours très bien affirmé. D’ailleurs, l’oeuvre d’unification des souverains est gênée justement par les appétits des puissances étrangères, auxquels ils doivent faire face avant de régler les problèmes internes. Pour l’heure, Rome signe un traité avec le souverain qu’est le négus Ménélik, et semble contrôler le pays.

Toujours est-il qu’au début des années 1890, Ménélik, soutenu par les Français, conteste la présence italienne. Au fil des ans, les agitations contre les Italiens augmentent et, en 1895, l’affrontement semble proche entre les deux parties…

Pièce de la colonie italienne d’Érythrée.

Pièce de la colonie italienne d’Érythrée.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Pour les mutations longues et le cadre proprement italien:

-PECOUT (Gilles), Naissance de l’Italie contemporaine. 1770-1922, Paris, Armand Colin, 2004, 407 p.

Sur les armes, le matériel et les opérations, un bon fascicule Osprey:

-MCLACHLAN (Sean), Armies of the Adowa Campaign, 1896, Oxford, Osprey publishing, coll. « Men-at-arms », 2011, 48 p.

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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: III) Africanina

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite): 

Poursuivons notre tour d’horizon des chansons de la guerre d’Ethiopie en évoquant cette fois le cas de Africanina, le texte étant de Armando Gill  et la musique de  Nino Casiroli. Comme les deux précédentes, on va voir qu’elle évoque des thèmes chers au colonialisme, au fascisme mais aussi qu’elle fait référence à l’actualité directe liée à la guerre. Débutons par l’analyse de son titre: il est une expression désignant une femme africaine, presque un diminutif. Le suffixe ina (ino au masculin) lui, a une valeur méliorative, affective en Italien.

Africanina 

Tre conti son già stati regolati (Trois comptes ont déjà été réglés)
Con Adua, Macallè ed Amba Alagi (Avec Adoua, Maccalè et Amba Alagi)
Tra poco chiuderemo la partita (Avant peu nous mettrons fin à la partie)
Vincendo la gloriosa impresa ardita (en vainquant  la glorieuse et hardie entreprise). -) Redondant et pompeux!

Il y a déjà là  à dire! Tout d’abord, comme dans les autres chansons que j’ai évoquées, le texte est encore une fois obnubilé par les défaites de la campagne catastrophique de  1895-1896 (voir articles précédents). La « pilule » n’est jamais passée semble-t-il et la chanson parle une nouvelle fois de la vengeance de cette défaite indélébile, qui culmina avec Adoua.

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Tu della libertà sarai regina (Tu seras la reine de la liberté)
Col legionario liberatore (Avec le légionnaire libérateur)
Imparerai ad amare il tricolore (Tu apprendras à aimer le tricolore)

Due ottobre ricordatelo a memoria (Rappelle-toi du deux octobre)
Nell’Africa Orientale avrà una storia (En Afrique Orientale il aura une histoire)
Romana civiltà questa missione (La civilisation romaine est cette mission)
Ed ha fiorito cento e una canzone (Et cent et une chansons ont fleuri)

On est là en plein colonialisme, qui sent plus le 19e siècle qu’autre chose: le chanteur s’adresse à une Éthiopienne inconnue, anonyme mais qui symbolise, par extension, le peuple conquis… Et dont la conquête serait en fait une « liberté » au cours de laquelle le soldat venu d’Italie apprendra aux colonisés à aimer son drapeau (le « tricolore » de la chanson), c’est-à-dire la férule de l’Européen. On notera le terme « légionnaire » utilisé, qui fait référence à l’Antiquité, dont le souvenir et la soi-disant « pureté » passionne, anime même, les dirigeants fascistes. C’est cette thématique qui se poursuit dans le couplet suivant, où l’arrivant amène sa civilisation romaine; la date du 2 octobre 1935 étant celle du début de la guerre.

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Saprai baciare alla garibaldina (Tu sauras embrasser « à la garibaldienne »)
Col bel saluto alla romana (Avec le beau salut à la romaine)
Sarai così una giovane Italiana (Tu seras ainsi une jeune italienne).

La thématique de la colonisation, de l’assimilation des peuples conquis continue avec ce couplet très intéressant. Il est dit que la jeune femme de la chanson saura embrasser comme une italienne, et surtout avec le beau salut « à la romaine », c’est à dire fasciste. En effet, Mussolini accolait le terme de « romain » partout, ainsi le pas de l’oie des soldats italiens est devenu tout naturellement le « pas romain (passo romano)« . On doutera toutefois de la sincérité de cette chanson: les dirigeants de l’Italie, s’ils n’étaient pas les idéologues fous de l’Allemagne, n’étaient sans doute pas prêt à accorder une citoyenneté pleine et entière aux Ethiopiens… Le « Tu seras ainsi une jeune italienne » est donc particulièrement hypocrite. 

Avanti Italia nuova che sia gloria (En avant Italie nouvelle qui est la gloire?)
All’armi tu e volontà vittoria (Aux armes toi et la volonté de victoire)
Vittoria contro i barbari abissini (Victoire contre les barbares abyssins)
E contro i sanzionisti ginevrini (Et contre les sanctions de Genève)

Continuons. Là le couplet se fait carrément plus guerrier: l’ennemi est promis à une défaite certaine et ravalé au rang de « barbare ». Enfin, le chanteur brocarde les sanctions de la Société des Nations, basée à Genève. En effet cet ancêtre de l’ONU prit des mesures économiques contre l’invasion de l’Italie, jugée hors de propos et anachronique (voir photo ci-dessous). Le Négus, donc le chef des Éthiopiens, vint même plaider la cause de son pays en Suisse…

Plaque s’insurgeant violemment contre les sanctions prises par la SDN à l’encontre de l’Italie. Crédit photo: wikipédia

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Piccolo fiore di orientalina (Petite fleure orientale
Labbra carnose dolce pupilla (Lèvres charnues, douce pupille)
Tutti i tuoi figli si chiameran Balilla (Tous tes fils s’apelleront « Balilla »)

Le chanteur, ensuite, se « calme », et s’adresse à nouveau à la jeune femme, en la bombardant de stéréotypes colonialistes du type « petite fleur d’orient », « lèvres charnues »… Plus intéressant, il lui dit que tous ses fils se nommeront « Balilla ». C’est faire là directement référence à une organisation du parti fasciste s’occupant de la jeunesse depuis 1926, comme l’Allemagne et l’URSS le firent par la suite (n’oublions pas que Mussolini arrive en 1922 au pouvoir). Ainsi, L’Opera nazionale Balilla, plus tard connue sous le nom de Gioventù Italiana Del’Littorio (dès 1937) encadrait et formatait les jeunes garçons de 8 à 14 ans. 

On voit donc là une chanson très intéressante, riche en thématiques et surtout éhontée. Terminons par l’écouter:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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