La bataille de Caporetto: IV) La retraite se mue en déroute
La rupture du front
Nous l’avons vu la dernière fois, l’ordre de repli général ne se traduit pas par une retraite en bon ordre. Cadorna lui-même abandonne Udine le 27, pour se replier avec tout le commandement à Trévise, soit cent kilomètres en arrière. Et ce sans laisser aucune structure, même provisoire derrière lui. L’effet produit est désastreux et les clichés que la mémoire collective italienne conservent ont une base bien réelle de vérité.
Ainsi, le front se rompt rapidement et la retraite se transforme en déroute. Si les morts militaires ne sont « que » 40.000, l’historien Giorgio Rochat donne des chiffres éloquents: 280.000 prisonniers, 350.000 soldats débandés, sans unité. Le matériel abandonné est précieux: plus de 3000 canons, autant de mitrailleuses, sans compter la nourriture et le reste. Heureusement, certains officiers plus énergiques et volontaires que les autres ont localement sauvé la situation. Cela a permis à des unités entières de rejoindre les nouvelles lignes en bon ordre… en emportant, difficilement certes, avec elles leurs vivres et leur équipement. Preuve, s’il en est, que cette déroute n’obéit pas à une fatalité, mais est la résultante de plusieurs causes.
Les Français en Haute-Silésie (1920-1921): II) Arrivée sur place, premières difficultés.
Le corps expéditionnaire allié:
Pour maintenir l’ordre, le contingent total se compose finalement de 12.000 Français, 3-4.000 Italiens (suivant le moment) et des bataillons Britanniques prédésignés, situés sur le Rhin. C’est à dire qu’ils sont envoyés en Silésie seulement si nécessaire. On le voit bien , Londres est très prudente.
Ainsi, les Français sont presque seuls. Arrivant sur place, ils sont très mal accueillis dans les villages à majorité germanique. Le silence est glacial, on leur envoie même des objets à la figure. C’est l’inverse dans les zones à peuplement polonais dominant: les gens dressent des arcs de triomphe, sont souriants, manifestent leur joie. Dans ces conditions, il est d’autant plus difficile de ne pas prendre parti…
Les débuts étant plutôt calmes, le commandement décide de multiplier les détachements sur l’ensemble du territoire. Si cela divise les troupes (certains villages n’ont qu’une dizaine d’hommes), c’est également un bon moyen de montrer la présence alliée. Il y eut deux phases : fin 1920 à mars 1921 est la première. Juste après éclata la deuxième insurrection polonaise, à l’été. La mission est donc évolutive puisqu’elle passe d’un maintien de l’ordre conventionnel à de vraies opérations de guerre, couplées d’aides aux populations.
Les Alliés se mettent en effet d’accord pour la tenue d’élections en février-mars 1921, mais s’opposent quant à savoir qui peut ou non voter. Les Français proposent d’envoyer en premier aux urnes les habitants de la province, puis ses natifs qui n’y résident plus. Les Polonais s’y refusent : ils n’y habitent plus, ils ne sont donc pas Silésiens. Finalement Londres impose de faire voter tous les gens concernés, le même jour, dans la province. A cette occasion, Berlin opère un vrai tour de force pour faire pencher la balance en sa faveur : tous les natifs sont recensés et envoyés sur place pour le vote, par des dizaines de trains. On parle là de 280.000 personnes acheminées! Ce fut ultérieurement un motif de grogne. La tension monte à mesure que le vote approche, des gens sont agressés. Les forces d’occupation doivent se charger de maintenir un ravitaillement minimum, notamment en charbon : l’hiver est rude. On doit recourir aux tickets de rationnement. Certaines situations sont peu confortables… Par exemple le cas de ce village polonais où les boulangers sont tous Allemands et sont partis. L’armée doit rouvrir l’édifice et le faire marcher, ce à quoi elle n’est pas forcément habituée. Il faut également désarmer les milices, rechercher les caches d’armes, ce qui n’est pas facile à cause des complicités locales et de la perméabilité des frontières.
Insurgés silésiens, 1920. Crédits photo: wikipedia.
Situation cornélienne:
Les groupes politiques et paramilitaires sont alors nombreux, la tradition guerrière de la province y aidant. Les Allemands, contournant le traité de Versailles, ont d’ailleurs caché une quantité importante d’armement. Il importerait donc de bloquer les frontières, mais les hommes sont trop peu nombreux. La police, allemande, est très peu fiable et l’idée d’en créer une nouvelle est lancée. Hélas il n’y a pas de cadres polonais ! Sur ces entrefaites, arrive le plébiscite, fin mars 1921. Son résultat étonne les Français: il accorde une belle majorité en faveur de l’Allemagne, autour de 60%... La question se pose alors : que faire ? On pense aussitôt à un partage calqué sur les résultats du vote, mais l’on se rend bien vite compte de l’extrême difficulté de la chose. En effet, les populations sont très imbriquées, jusque dans les villages. Dans le sud, les villes sont allemandes et les campagnes polonaises, dans le nord c’est plutôt l’inverse. Il arrive même qu’une voie de chemin de fer soit polonaise et l’aiguillage tenu par les Allemands. Londres, qui veut que l’Allemagne se reconstruise le plus vite possible, est favorable aux maintien de Berlin sur place, Paris, elle, non. Les Italiens, bien que plus proches des thèses Britanniques, jouent les médiateurs et font des propositions intermédiaires. Etant donné que c’est l’époque des derniers conseils suprêmes interalliés (la guerre est finie), on y débat de la chose. Le général Lerond est présent, il est venu en train de Silésie. Il tente de faire accepter les positions françaises. Alors que les débats sont vifs, la 3e insurrection polonaise se déclenche, enclenchant l’engrenage…
Source: conférence donnée par le Lieutenant-Colonel Rémy Porte, qui a fait son habilitation à diriger les recherches . Il est un des rares à avoir parlé de cette opération, profitez-en, donc!
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