La bataille de Caporetto: I) Introduction
Caporetto est l’une des batailles les plus significatives de la Première Guerre mondiale, et ce presque plus pour sa mémoire et les représentations que l’on en a que pour le fait en lui-même. Or, lorsqu’on étudie Clio, ces deux derniers volets sont au moins aussi importants que les événements, car ils créent de l’histoire à leur tour. Ce lieu et ce qui s’y passa a ainsi été instrumentalisé par la suite et il est généralement rattaché à une terrible défaite, voire une déroute italienne.
Toutefois, même si le nom de cette bataille est bien connu des historiens, il a moins marqué l’imaginaire collectif français, plus rattaché à Verdun, la Somme, ou encore la Marne et le chemin des Dames. Je vais donc m’attacher cette-fois à en retracer les grandes lignes et revenir sur les conséquences matérielles et mémorielles de Caporetto, qui ont marqué l’histoire de l’Italie au XXe siècle.
L’Italie en guerre de 1915 à 1917
Restée neutre en 1914, l’Italie est finalement entrée en guerre aux côtés de l’Entente en mai 1915. Ce ralliement suscite de grands espoirs, car il ouvre un nouveau front contre les Empires centraux. Le pays, lui, espère profite au maximum de cet effet et emporter une victoire rapide. L’idée est de marcher vers le Trentin et l’Istrie, réclamées par Rome, puis pourquoi pas en direction de Vienne, sur un front laissé dégarni par l’Autriche-Hongrie, occupée dans les Balkans et contre l’armée russe.
Toutefois, c’est un échec: l’armée italienne n’est pas prête avant la mi-juillet, et attaque avec lenteur, tout en manquant d’artillerie et opérant essentiellement dans un terrain montagneux propice à la défense. L’armée ennemie a donc eu le temps de se préparer et contre l’effort italien. Cela inaugure plusieurs années d’une guerre terrible dont les conditions de combat très difficiles, du fait du terrain et du climat alpin, sont finalement assez peu comparables aux affrontements de la steppe ukrainienne ou des tranchées des Flandres.
Les chocs se déroulent essentiellement le long d’un cours d’eau qui donne son nom aux batailles principales, le fleuve Isonzo. Bien que n’ayant pu y percer le front de manière décisive, l’armée italienne repousse peu à peu son adversaire, qui doit se battre sur plusieurs fronts et peine à remplacer les pertes. Alors que se termine l’année 1917, très importante dans le conflit, l’armée impériale et royale craint de ne pouvoir faire face à une nouvelle offensive italienne de grande ampleur et décide de réagir.

Téléphérique italien dans le secteur de Caporetto. On se doute bien de la difficulté du combat en montagne. Photo de l’auteur (avril 2019). Cliché conservé au musée de la bataille: https://www.kobariski-muzej.si/en/

Position austro-hongroise dans le secteur de Caporetto. On se doute bien de la difficulté du combat en montagne. Photo de l’auteur (avril 2019). Cliché conservé au musée de la bataille: https://www.kobariski-muzej.si/en/
Vienne demande de l’aide à Berlin
En effet, bien que les pertes italiennes aient été importantes dans les précédentes batailles, l’Etat-major austro-hongrois sait pertinemment qu’il ne parviendra pas à rassembler suffisamment de réserves pour soutenir un combat prolongé, et décide demander de l’aide à l’allié allemand. Bien que réticent, car occupé à préparer ses grandes attaques du printemps prochain à l’ouest, le commandement de l’armée du kaiser décide d’y souscrire par crainte d’un écroulement de la résistance de la double-monarchie, qui entraînerait sa propre perte.
L’idée n’est pas de bâtir des plans faramineux et irréaliste, mais « simplement » de conduire une offensive moyenne pour soulager la pression sur ce front, avant le début de l’année suivante. Sept divisions allemandes de grande qualité avec artillerie et impedimenta nécessaires sont ainsi fournies par Berlin, pour une durée limitée. Après avoir participé aux assauts, elles doivent revenir à l’ouest pour pouvoir participer aux grandes offensives du printemps suivant. Le déroulement ultérieur de ce qu’on l’on va appeler la bataille de Caporetto ne doit donc pas laisser croire à un plan préétabli d’attaque de très grande ampleur.
Carte du front sur le site de West point:
Cliquer pour accéder à WWOne14.pdf
Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
-GASPARI (Paolo), « La battaglia di Caporetto il 24 ottobre 1917 » dans La grande guerra italiana. Le battaglie, Udine, Gaspari, 2015, 255 p.
Liens:
Caporetto en jeu vidéo: https://www.wargamer.fr/la-bataille-de-caporetto-a-travers-to-end-all-wars/
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L’armée autrichienne de 1815 à 1859 II sur II.
Le calme revenu, François-Joseph, le nouvel empereur, monté sur le trône à la faveur des évènements révolutionnaires, est en droit de s’interroger. Si l’armée est restée fidèle et qu’elle a sauvé l’Empire (Radetsky le dit clairement à ses soldats), elle n’en a pas moins accusé le coup, a dû se battre sur deux fronts et n’a dû son salut qu’avec l’aide des Russes, qui se comportent comme les vrais vainqueurs dans l’affaire. Or, François-Joseph est un homme que l’armée intéresse, il a reçu une éducation en ce sens. De plus, il est dans les jeunes années de son règne, généralement les plus fécondes, là où l’on ose le plus avant que l’âge ne tempère. Nous sommes donc en droit de penser que de 1848 à 1859 il aurait eu le temps de reforger son outil…
Toutefois il faut aussi bien avoir conscience qu’à l’instar du tsar, l’empereur d’Autriche est un homme de principes, de légitimité, un champion de l’ordre et de la lutte contre les idéaux véhiculés depuis la Révolution Française. Souverain d’un ensemble mêlant plus d’une dizaine de peuples hétéroclites, des portes de l’Allemagne à la Roumanie, il ne peut se permettre d’être autrement, juge-t-il.
C’est pourquoi sa première période de règne (1848-1859) est dite « néo-absolutiste », ce qui est assez éloquent. Ainsi, tout ceci se reflète sur l’institution militaire: les officiers sont pétris de ces idées. D’ailleurs, l’armée opère encore des opérations de maintien de l’ordre, comme on les nommerait aujourd’hui: l’état de siège demeure actif jusqu’à la fin 1853 à Vienne ou Prague, et mi-1854 en Transylvanie. La capitale reçoit un dispositif renforcé pour pouvoir mieux lutter contre de futurs troubles et les régiments ne se privent pas de défiler dans la ville. François-Joseph entend se mêler de près aux affaires militaires. Ainsi, il supprime le ministère de la guerre, né de la révolution de 1848, en 1853 et exerce pleinement son autorité à travers sa chancellerie militaire. Ce faisant, il étouffe la création d’institutions modernes comme un grand-quartier général et ouvre la voie au clientélisme: il s’agit de plaire au comte Grünne (qui dirige l’ensemble et n’a jamais commandé sur le terrain).

François-Joseph en 1853 (image trouvée sur wiki).
Homme tourné vers les grands principes du passé, l’empereur entend surtout que ses troupes et officiers lui soient unis par des liens de fidélité quasi féodaux. Si c’est entretenir là un haut niveau de moralité au sein de l’armée, cela ne forme pas aux nouvelles réalités de la guerre, liées dorénavant aux progrès de la Révolution Industrielle. D’ailleurs, si le souverain se pique de commander, il n’est pas un grand stratège et, dessillé, ne s’y risqua plus après l’épisode de la guerre d’Italie. Nombre d’officiers sont placés car ils sont bien vus en cour, mais leur qualités de stratège sont pauvres: le remplaçant du vieux Radetsky, mort en 1858 à 91 ans, en est la meilleure illustration (voir articles sur la guerre de 1859): il s’avéra être un incapable. L’armement aussi est en retard et cela se fit sentir en 1859 où l’artillerie française surclasse celle des Autrichiens. Même commentaire en 1866 quand le fusil Dreyse dépasse de loin l’équivalent des habits blancs. En bref, l’armée autrichienne semble plus être dirigée par des guerriers, des courtisans que des soldats. Cette ambiance n’est pas sans rappeler celle que je décrivais pour la France de la même époque, ici:
A noter que l’industrialisation seulement partielle du pays, son étendue, son caractère hétéroclite et les difficultés budgétaires n’ont pas arrangé l’ensemble.
Source: Bled (Jean-Paul), François-Joseph, Paris, Tempus, 2011, 853 p.
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