La bataille de Caporetto: IV) La retraite se mue en déroute
La rupture du front
Nous l’avons vu la dernière fois, l’ordre de repli général ne se traduit pas par une retraite en bon ordre. Cadorna lui-même abandonne Udine le 27, pour se replier avec tout le commandement à Trévise, soit cent kilomètres en arrière. Et ce sans laisser aucune structure, même provisoire derrière lui. L’effet produit est désastreux et les clichés que la mémoire collective italienne conservent ont une base bien réelle de vérité.
Ainsi, le front se rompt rapidement et la retraite se transforme en déroute. Si les morts militaires ne sont « que » 40.000, l’historien Giorgio Rochat donne des chiffres éloquents: 280.000 prisonniers, 350.000 soldats débandés, sans unité. Le matériel abandonné est précieux: plus de 3000 canons, autant de mitrailleuses, sans compter la nourriture et le reste. Heureusement, certains officiers plus énergiques et volontaires que les autres ont localement sauvé la situation. Cela a permis à des unités entières de rejoindre les nouvelles lignes en bon ordre… en emportant, difficilement certes, avec elles leurs vivres et leur équipement. Preuve, s’il en est, que cette déroute n’obéit pas à une fatalité, mais est la résultante de plusieurs causes.
La bataille de Caporetto: III) Premiers succès austro-hongrois et allemands
Nous avons vu les précédentes fois la mise en place de ce qui va être appelé par la suite la bataille de Caporetto, en replaçant ces plans et préparatifs dans un contexte plus large. Alors que la bataille débute le 24 octobre 1917, les troupes austro-hongroises et allemandes vont progresser de manière fulgurante, dépassant même les prévisions. On le rappelle, l’affrontement n’était pas censé être une offensive de grande envergure, mais l’effondrement très rapide du dispositif italien le fait changer de nature.
Les premiers jours de combat
En fait, les Italiens, on l’a vu, ne s’attendaient pas à telle attaque et leur dispositif est marqué par une série de faiblesses qu’on a décrites. Ainsi, quand les combats débutent, leur réaction est trop lente et mal coordonnée. L’artillerie italienne, qui comporte pourtant 560 pièces au point le plus fort de la ligne, ne parvient pas à effectuer des tirs bien cadrés et efficaces. Les unités communiquent mal entre elles et, dans le secteur de l’attaque secondaire, vers Plezzo, des centaines d’hommes sont tués par des gaz de combat bien utilisés. Allemands et austro-hongrois progressent vers les tranchées secouées par des bombardements brefs mais violents, et en colonnes plus mobiles que les précédentes vagues d’assaut en ligne.
La confusion s’empare de plusieurs unités italiennes, confusion qui ne va pas faciliter un récit scientifique par la suite et qui va nourrir beaucoup de rumeurs quant au comportement au feu des troupes royales. Il reste que désorganisation et effet de surprise semblent battre leur plein. S’il y a un responsable, il est plutôt à chercher du côté du commandement, totalement dépassé et incapable de réagir dans les premiers moments, pourtant fondamentaux dans une bataille. Le tout va amener à l’écroulement de toute la structure de l’armée. Déjà, certaines positions-clés dans les vallées sont mal tenues, voire abandonnées sans combat. En deux jours seulement les troupes allemandes et austro-hongroises atteignent leurs objectifs, voire les dépassent.

Pistolet Rast et Gasser austro-hongrois, modèle 1898. Musée de Caporetto, photo de l’auteur (avril 2019).

Caporetto (Kobarid) aujourd’hui, en Slovénie. Photo de l’auteur (avril 2019).
Le retrait
Les premiers jours catastrophiques et le manque de réserves conduisent les hauts gradés italiens à décider du repli. En fait, les troupes en arrière du front sont en plein repos, complètent leurs effectifs et matériels ou ne sont pas endivisionnées. Après avoir attendu un redressement général durant les journées du 25 et du 26, le commandant en chef décide donc d’émettre un ordre général de retrait dans la nuit suivante. L’idée est de se replier le long du fleuve Tagliamento, abandonnant ainsi des positions âprement conquises et défendues depuis plus de deux ans.
Ainsi, si l’ordre est réaliste sur le papier, étant donné les conditions, il produit un mauvais effet sur le moral italien. Il ruine dans leurs esprits les efforts si durement consentis. De plus, le général en chef Cadorna s’est à tort convaincu d’une désagrégation de certaines unités italiennes, qui disposaient pourtant encore de troupes « fraîches ». D’autres choix auraient donc pu être faits: l’armée a été surprise, mais ne s’est pas encore écroulée. Là, suivre l’ordre de retraite s’avère très difficile étant donné la nature du terrain et l’agressivité de l’ennemi. Pour se replier et atteindre les ponts les plus importants sur le Tagliamento, certaines troupes doivent même marcher vers le nord-ouest, soit en direction de l’adversaire ! L’historien Giorgio Rochat affirme que Cadorna a en fait perdu le contact avec la réalité du terrain, et la suite de cette retraite va se transformer en déroute.
Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):
L’essentiel des livres est sans surprise en italien. Je conseille la lecture de Giorgio Rochat à ceux qui maîtrisent cette langue, il est très facile d’accès, plus que son collège Isnenghi à mon sens (voir qui a écrit quel chapitre en table des matières). Le deuxième livre est une histoire-bataille à l’ancienne, fouillée, bien illustrée et coordonnée par le service historique militaire italien.
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
-GASPARI (Paolo), « La battaglia di Caporetto il 24 ottobre 1917 » dans La grande guerra italiana. Le battaglie, Udine, Gaspari, 2015, 255 p.
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La bataille de Caporetto: I) Introduction
Caporetto est l’une des batailles les plus significatives de la Première Guerre mondiale, et ce presque plus pour sa mémoire et les représentations que l’on en a que pour le fait en lui-même. Or, lorsqu’on étudie Clio, ces deux derniers volets sont au moins aussi importants que les événements, car ils créent de l’histoire à leur tour. Ce lieu et ce qui s’y passa a ainsi été instrumentalisé par la suite et il est généralement rattaché à une terrible défaite, voire une déroute italienne.
Toutefois, même si le nom de cette bataille est bien connu des historiens, il a moins marqué l’imaginaire collectif français, plus rattaché à Verdun, la Somme, ou encore la Marne et le chemin des Dames. Je vais donc m’attacher cette-fois à en retracer les grandes lignes et revenir sur les conséquences matérielles et mémorielles de Caporetto, qui ont marqué l’histoire de l’Italie au XXe siècle.
L’Italie en guerre de 1915 à 1917
Restée neutre en 1914, l’Italie est finalement entrée en guerre aux côtés de l’Entente en mai 1915. Ce ralliement suscite de grands espoirs, car il ouvre un nouveau front contre les Empires centraux. Le pays, lui, espère profite au maximum de cet effet et emporter une victoire rapide. L’idée est de marcher vers le Trentin et l’Istrie, réclamées par Rome, puis pourquoi pas en direction de Vienne, sur un front laissé dégarni par l’Autriche-Hongrie, occupée dans les Balkans et contre l’armée russe.
Toutefois, c’est un échec: l’armée italienne n’est pas prête avant la mi-juillet, et attaque avec lenteur, tout en manquant d’artillerie et opérant essentiellement dans un terrain montagneux propice à la défense. L’armée ennemie a donc eu le temps de se préparer et contre l’effort italien. Cela inaugure plusieurs années d’une guerre terrible dont les conditions de combat très difficiles, du fait du terrain et du climat alpin, sont finalement assez peu comparables aux affrontements de la steppe ukrainienne ou des tranchées des Flandres.
Les chocs se déroulent essentiellement le long d’un cours d’eau qui donne son nom aux batailles principales, le fleuve Isonzo. Bien que n’ayant pu y percer le front de manière décisive, l’armée italienne repousse peu à peu son adversaire, qui doit se battre sur plusieurs fronts et peine à remplacer les pertes. Alors que se termine l’année 1917, très importante dans le conflit, l’armée impériale et royale craint de ne pouvoir faire face à une nouvelle offensive italienne de grande ampleur et décide de réagir.

Téléphérique italien dans le secteur de Caporetto. On se doute bien de la difficulté du combat en montagne. Photo de l’auteur (avril 2019). Cliché conservé au musée de la bataille: https://www.kobariski-muzej.si/en/

Position austro-hongroise dans le secteur de Caporetto. On se doute bien de la difficulté du combat en montagne. Photo de l’auteur (avril 2019). Cliché conservé au musée de la bataille: https://www.kobariski-muzej.si/en/
Vienne demande de l’aide à Berlin
En effet, bien que les pertes italiennes aient été importantes dans les précédentes batailles, l’Etat-major austro-hongrois sait pertinemment qu’il ne parviendra pas à rassembler suffisamment de réserves pour soutenir un combat prolongé, et décide demander de l’aide à l’allié allemand. Bien que réticent, car occupé à préparer ses grandes attaques du printemps prochain à l’ouest, le commandement de l’armée du kaiser décide d’y souscrire par crainte d’un écroulement de la résistance de la double-monarchie, qui entraînerait sa propre perte.
L’idée n’est pas de bâtir des plans faramineux et irréaliste, mais « simplement » de conduire une offensive moyenne pour soulager la pression sur ce front, avant le début de l’année suivante. Sept divisions allemandes de grande qualité avec artillerie et impedimenta nécessaires sont ainsi fournies par Berlin, pour une durée limitée. Après avoir participé aux assauts, elles doivent revenir à l’ouest pour pouvoir participer aux grandes offensives du printemps suivant. Le déroulement ultérieur de ce qu’on l’on va appeler la bataille de Caporetto ne doit donc pas laisser croire à un plan préétabli d’attaque de très grande ampleur.
Carte du front sur le site de West point:
Cliquer pour accéder à WWOne14.pdf
Bibliographie consultée (sans but d’exhaustivité):
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
-GASPARI (Paolo), « La battaglia di Caporetto il 24 ottobre 1917 » dans La grande guerra italiana. Le battaglie, Udine, Gaspari, 2015, 255 p.
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L’Italie et la Première Guerre mondiale: IV) La « Strafexpedition » de 1916
Après de longs mois de silence, poursuivons le dossier sur l’Italie de 1915-1918. Nous allons voir cette fois une tentative dangereuse de la part des austro-hongrois, qui se solde par un demi-échec. De nombreuses photos ont été prises par moi en Italie, sur les lieux des combats.
J’évoque le compromis de 1867. Voir la dernière vidéo de cette playlist pour plus d’informations :
https://antredustratege.com/2013/06/20/playlist-la-guerre-de-1866/

La « Stampa » du 19 mai 1916. Numéros numérisés: http://www.lastampa.it/archivio-storico/
Bibliographie utilisée (qui n’a donc pas pour but d’être exhaustive):
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
En français , et pour voir d’autres aspects, notamment le long terme:
-PECOUT (Gilles), Naissance de l’Italie contemporaine (1770-1922), Paris, Armand Colin, 2004, 407 p.
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L’Italie et la Première Guerre mondiale: III) L’échec de 1915
La suite du dossier est là. Voyons cette fois l’année 1915: la première de la guerre pour l’Italie, et marquée par l’impossibilité d’en finir rapidement avec son adversaire.
Bibliographie utilisée (qui n’a donc pas pour but d’être exhaustive):
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
En français , et pour voir d’autres aspects, notamment le long terme:
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Les arditi italiens: II) Au combat
Tout d’abord vous voudrez bien m’excuser: j’ai commencé un dossier sur la piraterie antique sans finir de parler des arditi…. Reprenons donc ce que je disais plus bas.
Engagement des arditi au feu:
Souvenons-nous de ce qui a été dit: ces unités ont été mises en place assez tardivement en Italie et elles ont bénéficié d’un traitement particulier. Leurs premiers combats ont donc lieu à l’été 1917 et sont d’abord de francs succès: sans préparation d’artillerie, jouant sur la surprise, ils s’enfoncent profondément dans les lignes austro-hongroises. Ceci décide le haut-commandement italien à créer une vingtaine de nouveaux détachements d’assaut.
Pourtant, après le désastre de Caporetto (voir plus bas), ils sont utilisés comme le reste de l’armée, l’urgence étant à l’arrêt des forces adverses, et leur histoire est noyée dans la bataille d’arrêt qui suit la grande débâcle. Peu à peu réorganisés, ils sont 26 détachements de 600 hommes en Italie même (ainsi que deux en France) à l’été 1918. Tenus en réserve on les utilise dans les actions locales où il faut bloquer une percée ennemie, ou créer une brèche dans un point de la ligne austro-hongroise près de rompre.
A la fin de la guerre, quand l’Italie reprend l’initiative, leur caractéristiques sont à nouveau oubliées, et ils sont engagés comme d’autres troupes, ce qui se traduit par de lourdes pertes (voir paragraphe suivant). Finalement, ils sont dissous à la fin de la guerre, leur héritage perdu pour l’armée, et leur action glisse dans les esprits vers le mythe, notamment chez les futurs maîtres de l’Italie, obnubilés par le culte de la force.
Le chant des arditi. L’air et la symbolique de ces troupes (flammes noires, poignards) ont été repris par le totalitarisme italien. Attention, donc.
Bilan de leur action:
Car au final, on parle de troupes très légèrement équipées, splendides dans le coup de main surprise, dans les actions brèves et très locales… Mais qui sont loin d’être parfaites: leur manque d’équipement lourd fit qu’ils furent incapables d’exploiter leurs percées, et qu’ils allaient trop vite pour le reste de l’armée. Très souvent, exposés seuls, aux contre-attaques austro-hongroises, ils se révélèrent incapables de tenir le terrain conquis.
De plus, on a vu qu’ils furent employés à plusieurs reprises comme de l’infanterie « normale », ce qui constitua une grave erreur car leurs missions et potentialités n’étaient pas les mêmes et les pertes furent, alors, effroyables. Ces hommes, redoutables, étaient d’un emploi délicat, ce que ne prirent pas assez en compte leurs chefs. Néanmoins ils demeurent très appréciés dans la mémoire italienne de la Première Guerre mondiale, sensible à leur allant, à leur réputation de « gros durs » et à leurs coups d’éclat en partie réels.

Trois arditi, on notera les mousquetons (version courte du fusil), les pulls, les poignards… Et l’allure générale de ces hommes.
Bibliographie:
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
Les courageux pourront aussi lire:
-ROCHAT (Giorgio), Gli arditi della Grande Guerra: origini, battaglie e miti, Gorizia, LEG, 2006, 251 p.
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L’article sur Caporetto:
http://www.wargamer.fr/la-bataille-de-caporetto-a-travers-to-end-all-wars/
L’Italie et 1915-1918 : II) L’armée italienne en 1915, plans et préparatifs
La suite du dossier est là. Vous saurez tout (ou presque) sur l’état de l’armée italienne en 1915, sur ses préparatifs, son commandement et ses plans !
Bibliographie utilisée (qui n’a donc pas pour but d’être exhaustive):
-ISNENGHI (Mario) et ROCHAT (Giorgio), La grande guerra, Bologne, Il mulino, 2014 (4e édition), 586 p.
En français , et pour voir d’autres aspects, notamment le long terme:
-PECOUT (Gilles), Naissance de l’Italie contemporaine (1770-1922), Paris, Armand Colin, 2004, 407 p.