Archives de Tag: Mussolini

La bataille de Caporetto: V) Les conséquences et le mythe

Je l’ai dit la dernière fois: la rupture du front suite à la bataille de Caporetto ne signifie pas la défaite de l’Italie. Elle parvient à stabiliser la ligne des combats, notamment le long du fleuve Piave qui devient bientôt légendaire et personnifié, l’objet de chansons et de dessins. Les Austro-Allemands ne parviennent pas à le franchir et sortir l’Italie, soutenue par des troupes de l’Entente, de la guerre. En novembre 1918, la très belle victoire de Vittorio Veneto marque même la revanche des Italiens qui vainquent Vienne avant le fameux 11 novembre  (soit le 4), dont j’ai pu souligner ailleurs la relativité (1). Toutefois, tout ceci nous éloigne de Caporetto proprement dit. Il nous reste donc à analyser les conséquences de la bataille et le mythe qui l’entoure.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : VIII) Conclusion

L’heure de la conclusion. Merci à tous de suivre ces travaux et bonne fin d’année à tout le monde !

Des campagnes chères et assez mal menées 

Au final, les tentatives italiennes de conquête de l’Ethiopie se sont révélées être des campagnes coûteuses, menées à une grande distance de la métropole, et ce malgré la possibilité de s’aider des deux autres colonies que sont l’Érythrée et la Somalie. La première fois, l’échec s’avère plus symbolique qu’autre chose mais a un grand retentissement en Europe et marque les décideurs en Italie. Si l’on a vu que « venger » Adoua n’est pas le motif principal de l’attaque mussolinienne de 1935, il a tout de même joué.

Là, les forces armées du dictateur ne l’emportent que par une débauche de moyens contre un adversaire qui en est dépourvu. Pierre Milza (voir bibliographie) analyse très bien la volonté de nombreux dignitaires fascistes de venir récupérer de la renommée à peu de frais en Ethiopie, notamment en servant dans l’aviation et en bombardant l’adversaire. Celui-ci n’ayant pratiquement pas les moyens de se défendre contre ce type d’attaque, on imagine bien le peu de dangers encourus par les auteurs de telles actions. Ainsi, Bruno et Vittorio Mussolini, les propres fils du dictateur, servirent dans l’arme aérienne durant ce conflit, et on pourrait multiplier les exemples.

Reste que ces guerres ont coûté très cher, ont vu des crimes contre les Éthiopiens être commis, et ce pour un résultat somme toute médiocre car, malgré la résistance évoquée, l’Ethiopie est perdue dès 1941. Le commandement n’a pas été excellent, mais la position géographique n’a pas aidé non plus, la zone étant cernée de colonies britanniques. Notons toutefois qu’une victoire de l’Axe aurait peut-être entraîné un autre avenir pour l’Ethiopie italienne, notamment car le négus était prêt à négocier avec ses ennemis italiens.

Vidéo de propagande de l’Institut Luce: départ de colons pour l’Ethiopie en 1938.

Conséquences directes 

D’ailleurs, Paoletti et Avenel affirment qu’il appréciait l’effort de construction de ponts et de routes entrepris par ceux-ci. Lorsqu’il reprend le pouvoir, il ne peut empêcher quelques massacres d’Italiens dans son pays, malgré une proclamation de pacification. En effet, des colons étaient venus s’installer sur place (voir vidéo en exemple). Pour un éclairage différent, on pourra se référer aux articles de journaux de Malaparte, qui écrivait alors pour le Corriere della sera. Venu en 1939 là-bas, il laisse de très beaux écrits de ce pays alors sous occupation italienne. Le tout est paru en français chez Arléa sous le titre Voyage en Ethiopie. 

Le sort des prisonniers de guerre italiens est assez commun: malgré quelques violences exercées contre eux par les Éthiopiens, ils sont confiés aux Britanniques et envoyés en camps de prisonniers. Ils y finissent la guerre sans trop de problèmes. Notons toutefois que c’est en détention que meurt en 1942 l’ancien vice-roi déjà cité, le duc d’Aoste. Par contre, le destin des auxiliaires locaux des Italiens, les ascari, est souvent plus violent lorsqu’ils ne sont pas parvenus à s’éclipser au moment de la reddition pour rejoindre leurs régions d’origine: ils étaient vus comme des traîtres. La plupart des colonisateurs, eux, sont rapatriés en Italie en 1942-43, bien que des minorités et des écoles se soient maintenues sur place par la suite.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.

Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:

-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : V) De la conquête à 1940

Période encore moins bien connue que la conquête de 35-36 que je viens de traiter: la présence italienne entre cette date et l’entrée en guerre de l’Italie aux côtés de l’Allemagne en 1940. En effet, elle ne fut pourtant pas exempte de combats. Comme je l’ai rappelé en conclusion précédemment: prendre la capitale et disperser les armées du Négus ne signifiait au final pas grand-chose !

Réorganisation des colonies italiennes

Qu’est-ce à dire ? Et bien, qu’aussitôt la conquête officiellement achevée, les Italiens se lancent dans plusieurs années de lutte contre une guérilla éthiopienne, facilitée par un refus naïf et tenace de la part de Mussolini de s’appuyer sur des chefs locaux rendus fidèles par des prébendes et autres avantages matériels. Il ne se range à cette solution pourtant pratiquée plus ou moins par tous les autres colonisateurs que très tard (voir plus bas).

Par contre, il reprend l’idée française et britannique (ainsi qu’utilisée par d’autres pays ayant des colines) d’engager des soldats locaux encadrés par quelques unités européennes, pour tenir le terrain, et notamment les points principaux (villes, routes, ponts…). D’ailleurs, le recrutement de population colonisées se pratique déjà en Libye ou Érythrée, sous le noms d’ascari. Une réorganisation administrative a donc lieu et la plupart des soldats rentrent en métropole, rendant cet appoint encore plus nécessaire.

Fin 1936, c’est donc ce type de forces qui est disponible en Ethiopie et dans les colonies avoisinantes: des troupes locales avec un encadrement italien constitué de quelques unités d’infanterie, d’artillerie et de cavalerie, ainsi qu’un bataillon d’alpini, équivalent plus ou moins proche des chasseurs alpins français. Le tout est renforcé par des unités de police motorisée de la PAI (Polizia dell’Africa Italiana, soit Police de l’Afrique italienne) à partir de 1938. Or, leur tâche s’annonce ardue.

Vidéo de propagande Luce: « Mussolini passe en revue un bataillon de la police coloniale en partance pour l’Afrique ».

Une difficile « pacification » 

De 1936 à 1939, les unités stationnées dans les colonies d’Afrique Orientale sont donc engagées dans de vraies opérations de guerre. Pour les raisons que l’on a évoquées dans les précédents articles déjà, elles sont très lentes: le terrain est irrégulier, les communications difficiles, les distances grandes, la logistique fait défaut. De plus, les troupes adverses connaissent le pays, savent se cacher, et bénéficient d’une aide britannique officieuse, via la Somalie voisine, colonie de sa majesté.

A partir de 1937 et surtout 1938, la situation s’améliore: les engagements des troupes locales augmentent, les garnisons passent de la défensive à l’offensive et parviennent à dégager les routes. Au début de 1937, plus de 66.000 réguliers sont ainsi disponibles, dont 43.000 soldats recrutés sur place. Bien que les saisons des pluies ralentissent les efforts italiens, ils parviennent à contrôler peu à peu les différents axes de communication et les principales villes, au prix de longs combats et de campagnes qui durent parfois des mois.

Pourtant, le milieu rural continue de leur échapper, et une partie des troupes locales trahit au profit de la guérilla. De plus, le coût déjà important de la conquête devient faramineux et grève durablement les finances royales. Finalement, en 1939, la situation s’apaise quand le duc d’Aoste, de la famille royale, nommé vice-roi, obtient enfin de Mussolini de pouvoir mener une politique d’apaisement. Toutefois, ses effets réels restent difficiles à mesurer car dès l’été 1940, la guerre éclate contre les Alliés.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.

Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:

-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : IV) La conquête de 1935-36

Introduction: 

Comme nous l’avions donc vu la dernière fois, la conquête italienne débute réellement à la fin de l’année 1935. Les moyens mis à disposition des chefs sont impressionnants, pour un conflit qui se veut rapide et limité: 165.000 hommes, 36.000 chevaux et mules, des avions et des blindés, sans oublier l’artillerie. Sur le papier, l’offensive principale doit venir du front Nord, depuis l’Érythrée. Cette partie de l’armée est dirigée par un dignitaire du régime assez âgé, Emilio de Bono. Au sud, depuis la Somalie, Rodolfo Graziani, commande des forces moindres qui sont censées rester sur la défensive, on verra toutefois qu’il n’en fut rien.

De Bono (avec la barbe blanche). Soutien de Mussolini depuis longtemps, il s'oppose à lui en 1943 lors du vote qui le dépose. Arrêté après la reprise en main allemande de l'Italie, il est exécuté malgré son âge avancé.

De Bono (avec la barbe blanche). Soutien de Mussolini depuis longtemps, il s’oppose à lui en 1943 lors du vote qui le dépose. Arrêté après la reprise en main allemande de l’Italie, il est exécuté malgré son âge avancé.

Des débuts difficiles pour le front Nord

L’avance des troupes italiennes est d’abord rapide: les Éthiopiens se sont retirés pour concentrer leurs forces et ne se mettent à riposter réellement qu’en novembre. Leur résistance est souvent tenace. De plus, comme en 1896, la logistique fait grandement défaut aux soldats de Victor-Emmanuel: les routes sont peu nombreuses, le terrain irrégulier, le climat rude et les distances grandes. Matériel et armement arrivent directement d’Italie via Suez et l’Érythrée, ce qui complique encore le propos.

Malgré l’affectation de soldats et d’ouvriers civils à l’amélioration du réseau de transports, Mussolini tempête contre une avance qu’il assimile plutôt à une reptation. La volonté de prestige qu’on a déjà évoquée le rend désireux d’une victoire prompte, surtout alors que la SDN a décidé de sanctions économiques contre son pays, du fait de son acte d’agression délibéré contre un membre de l’organisation. A la fin de l’année, le dictateur remplace donc de Bono par Badoglio, qu’il juge plus énergique, et envoie trois divisions supplémentaires renforcer le corps expéditionnaire.

Cela n’empêche pas la progression vers le centre du pays de rester lente. Les Italiens épuisent leurs ennemis à l’aide de l’aviation, car ils ont la maîtrise du ciel, et les 7.000 pièces d’artillerie du front Nord, mais aussi en utilisant des armes chimiques comme les gaz de combat. Ainsi, de janvier à mars 1936, ils parviennent, au prix de durs combats, à disperser les armées des chefs de guerre éthiopiens, laissant le négus avec ses seules forces. Malgré une contre-attaque hardie de celles-ci en avril, il ne peut empêcher les hommes de Badoglio de s’ouvrir la route de sa capitale, Addis-Abbeba.

Assauts depuis la Somalie

Malgré des ordres, on l’a vu, défensifs, Graziani se met lui aussi en mouvement depuis le sud, forçant l’adversaire à se battre sur deux fronts. Il est connu pour sa répression très dure en Libye et n’a pas l’intention de rester inactif. Il convainc donc le dictateur italien qu’il est capable de mener une campagne victorieuse et obtient son consentement, ainsi que l’envoi de renforts. Il dispose ainsi de 50.000 hommes pour partir à l’offensive et c’est aussi lui qui a fait acheter aux Etats-Unis des pelleteuses de la fameuse marque Caterpillar pour créer des routes carrossables au fur et à mesure de son avancée. Il utilise aussi des camions de chez Ford, industriel connu pour sa proximité avec l’extrême-droite (qui se confirme pendant la guerre d’Espagne).

La progression est là aussi lente, mais constante et les succès de Graziani renforcent sa popularité, ouvrant la voie vers son maréchalat. Fin janvier 36, ses hommes sont à 70 kilomètres de la capitale mais obliquent vers l’est, pour détruire les armées adverses dans cette partie du pays. Le 9 mai, ses troupes joignent finalement celles de Badoglio à Dire Daua. Les hommes de ce dernier s’étaient emparés d’Addis-Abbeba quelques jours plus tôt…

L’avancée des Italiens en Ethiopie, vidéo de propagande du 22/04/1936 de l’Istituto Luce :

Conclusion: 

Si cela marquait la fin officielle de la conquête, le pays allait s’installer dans une guérilla tenace dès ce mois de mai, guérilla réprimée avec plus de dureté encore, ce que l’on verra une prochaine fois. Cette guerre d’agression a donc été bien plus difficile que prévu pour l’Italie fasciste. Menée avec une grande violence contre un Etat souverain, elle est aussi ruineuse pour Rome. L’historien Giorgio Rochat (voir bibliographie) affirme que, couplée à l’intervention italienne en Espagne aux côtés de Franco, elle a empêché pour une grande partie la modernisation des forces armées italiennes. Le résultat est connu.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.

Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:

-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.

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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : III) Vers la guerre de conquête de 1935-1936

Souvenez-vous, nous avions laissé notre dossier en 1896: Adoua avait marqué la fin des espoirs italiens en Ethiopie. Pendant quelques décennies, celle-ci va donc vivre en paix. Rome se tourne vers l’annexion de territoires ottomans (guerre de 1911-1912) puis a trop à faire avec la Première Guerre mondiale (1915-1918) pour s’y intéresser. Enfin, le nouveau pouvoir fasciste arrivé en 1922 doit se consolider intérieurement et « pacifier », très cruellement au demeurant, l’Afrique du Nord avant de se tourner vers de nouveaux horizons.

Une nouvelle donne

En effet, Mussolini relance la politique coloniale de son pays. Il estime qu’une grande puissance se doit de posséder un vaste domaine outre-mer pour pouvoir compter sur la scène internationale. Or, le monde de l’après-guerre n’est plus celui de la fin du XIXe siècle: le partage a déjà été fait et l’hécatombe de 14-18 a commencé à changer les mentalités. Les empires coloniaux ne sont plus présentés de la même façon, et les guerres d’agression moins acceptées qu’avant. S’il y a une forme d’hypocrisie de la part des grandes puissances coloniales (qui n’entendent pas abandonner leurs conquêtes), il n’en reste pas moins que cela ne lui facilite pas la tâche.

Un temps hostile à l’Allemagne, ayant réussi quelques arbitrages coloniaux en sa faveur avec Paris et Londres (quelques modifications de frontières assez minimes), le dictateur italien en veut toutefois plus. Pourtant, les relations entre les deux pays autrefois ennemis se sont officiellement améliorées : l’Italie a appuyé l’entrée de l’Ethiopie à la SDN en 1923 puis signé un traité d’amitié avec elle en 1928.  Toutefois, le discours change progressivement dès le début des années 30. Le régime totalitaire réarme en Érythrée, s’inquiète des visées économiques des occidentaux (barrages, chemins de fer…), et même des Japonais, dans le pays et adopte une rhétorique guerrière.

Des soldats italiens partent pour l'Afrique depuis la Toscane. On distingue déjà leurs casques coloniaux.

Des soldats italiens partent pour l’Afrique depuis la Toscane. On distingue déjà leurs casques coloniaux.

La marche vers la guerre

A cela plusieurs raisons. D’une part, Mussolini souhaite faire oublier les difficultés économiques internes de l’Italie par une victoire extérieure, procédé très courant. De plus, il désire relier les colonies italiennes d’Érythrée et de Somalie, ainsi qu’agrandir le domaine contrôlé par Rome, comme évoqué plus haut. Enfin, venger la défaite d’Adoua. Le tout en profitant de ce que Londres et Paris aient les yeux tournés vers le réarmement allemand: le moment lui semble être approprié pour agir.

Les historiens pensent donc que toutes ces raisons, plus beaucoup d’autres, le poussent à prendre la décision d’une intervention militaire massive entre le printemps et l’été 1935. Alors que les troupes s’acheminent vers l’Afrique, reste à trouver un prétexte officiel. Là, il faut rappeler que, malgré les traités, dont celui d’amitié de 1928 déjà cité, les escarmouches n’ont pas cessé le long des frontières entre les deux pays entre 1896 et 1935. Les Italiens ont repoussé plusieurs fois des bandes armées éthiopiennes mal contrôlées par le pouvoir central et, fin 1934, trois incidents de frontière au demeurant minimes sont saisis par Rome.

Les versions divergent énormément entre les deux pays et sont encore très difficiles à démêler, mais ce qui est sûr est que le dictateur italien tient là ce qu’il veut: arguant de la porosité des frontières et de l’insécurité générée par les troupes éthiopiennes, il fait préparer des plans et prévoit de débuter une offensive générale de conquête en octobre 1935…

Chanson de 1935 In Africa si va (En Afrique l’on va) justifiant le départ pour l’Afrique des soldats italiens. Le ton est évidemment de propagande et elle n’est ici présente qu’à titre d’illustration. Je reviendrai sur ces chansons que j’ai déjà évoquées il y a quelque temps.

Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):

Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:

-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.

Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.

Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:

-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.

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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: IV) Faccetta nera

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite): 

Cette fois la chanson date de l’immédiat de l’avant guerre, plus précisément d’avril 1935. Ecrite par  Renato Micheli et mise en musique par Mario Ruccione elle développe déjà des thèmes que j’ai évoqués, comme les soi-disant bienfaits d’une présence italienne en Ethiopie. Plus généralement, ce chant de propagande tend à préparer les esprits à l’intervention et cherche à la justifier. Observons son texte, assez révélateur…

Faccetta nera (petit visage noir)

Dès ce chant, les commentaires que j’ai pu faire précédemment s’appliquent: le chanteur s’adresse à une jeune éthiopienne et tente de la persuader de la justesse de l’intervention de son pays. Celle-ci est tangible dans la chanson, et là symbolisée par les navires approchant de la côte. Il vante sa beauté et son brillant futur sous la férule coloniale. Le but final de l’Italie est même directement avoué, sans fard: remplacer les lois et le dirigeant du pays par les siens propres!  Elle connut une seconde version en 1936, après la victoire de l’Italie. 

Se tu dall’altipiano guardi il mare (si tu regardes le haut-plateau depuis la mer)
Moretta che sei schiava fra gli schiavi, (Jeune brune [?] esclave parmi les esclaves)
Vedrai come in un sogno tante navi (tu verras comme dans un rêve tant de navires)
E un tricolore sventolar per te (et le tricolore flotter pour toi).
Faccetta nera (Petit visage noir),
Bell’abissina (Belle Abyssine)
Aspetta e spera (Attends et espère)
Che già l’ora si avvicina (que l’heure déjà approche)!
quando saremo (quand nous serons)
Insieme a te (près de toi)
noi ti daremo (nous te donnerons)
Un’altra legge e un altro Re (Une autre loi et un autre Roi).

L’hypocrisie des futurs colonisateurs atteint dans le couplet suivant une démesure éhontée: leur loi, leur joug serait un « esclavage d’amour », servant à alimenter « liberté » et « devoir »! Ce qui n’empêche pas les chanteurs affirmer vouloir venger les soldats tombés en conquérant le pays (et là présentés comme des héros libérateurs). Rappelons que les chemises noires sont les troupes du parti fasciste et qu’elles firent le coup de feu partout, notamment en Ethiopie. Une main de fer dans un gant de velours en somme!

La legge nostra è schiavitù d’amore (Notre loi est un esclavage d’amour),
il nostro motto è libertà e dovere (Notre but est liberté et devoir),
vendicheremo noi Camicie Nere (Nous vengerons, nous les Chemises Noires),
Gli eroi caduti liberando te (Les héros tombés en te libérant)!

Refrain:

Faccetta nera,
Bell’abissina
Aspetta e spera
Che già l’ora si avvicina!
quando saremo
Insieme a te,
noi ti daremo
Un’altra legge e un altro Re.

Qu’avons-nous ensuite? Un déluge de « bonnes intentions »: les chemises noires veulent emmener la jeune éthiopienne en Italie, en faire l’une des leurs et même terminer par un défilé devant Mussolini et le Roi! Elle est censée perdre toute autre allégeance que l’italienne et devenir par là-même « libre ». On navigue en plein imaginaire colonial. Au final une chanson qui préparait bien les autres (cf articles précédents).

La partition originale

Faccetta nera, piccola abissina (Petit visage noir, petite abyssine),
ti porteremo a Roma, liberata (Nous t’emmènerons à Rome, libérée)
Dal sole nostro tu sarai baciata (Tu seras embrassée par notre soleil),
Sarai in Camicia Nera pure tu (Et tu seras pure en chemise noire) .
Faccetta nera (Petit visage noir)
Sarai Romana (Tu seras romaine)
La tua bandiera (Ton drapeau) 
Sarà sol quella italiana (Sera seulement italien)!
Noi marceremo (Nous marcherons)
Insieme a te (Avec toi)
E sfileremo avanti al Duce (Et nous défilerons devant le Duce)
E avanti al Re (et devant le roi)!

Ecoutons la chanson pour terminer:

La version de 1936:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: III) Africanina

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite): 

Poursuivons notre tour d’horizon des chansons de la guerre d’Ethiopie en évoquant cette fois le cas de Africanina, le texte étant de Armando Gill  et la musique de  Nino Casiroli. Comme les deux précédentes, on va voir qu’elle évoque des thèmes chers au colonialisme, au fascisme mais aussi qu’elle fait référence à l’actualité directe liée à la guerre. Débutons par l’analyse de son titre: il est une expression désignant une femme africaine, presque un diminutif. Le suffixe ina (ino au masculin) lui, a une valeur méliorative, affective en Italien.

Africanina 

Tre conti son già stati regolati (Trois comptes ont déjà été réglés)
Con Adua, Macallè ed Amba Alagi (Avec Adoua, Maccalè et Amba Alagi)
Tra poco chiuderemo la partita (Avant peu nous mettrons fin à la partie)
Vincendo la gloriosa impresa ardita (en vainquant  la glorieuse et hardie entreprise). -) Redondant et pompeux!

Il y a déjà là  à dire! Tout d’abord, comme dans les autres chansons que j’ai évoquées, le texte est encore une fois obnubilé par les défaites de la campagne catastrophique de  1895-1896 (voir articles précédents). La « pilule » n’est jamais passée semble-t-il et la chanson parle une nouvelle fois de la vengeance de cette défaite indélébile, qui culmina avec Adoua.

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Tu della libertà sarai regina (Tu seras la reine de la liberté)
Col legionario liberatore (Avec le légionnaire libérateur)
Imparerai ad amare il tricolore (Tu apprendras à aimer le tricolore)

Due ottobre ricordatelo a memoria (Rappelle-toi du deux octobre)
Nell’Africa Orientale avrà una storia (En Afrique Orientale il aura une histoire)
Romana civiltà questa missione (La civilisation romaine est cette mission)
Ed ha fiorito cento e una canzone (Et cent et une chansons ont fleuri)

On est là en plein colonialisme, qui sent plus le 19e siècle qu’autre chose: le chanteur s’adresse à une Éthiopienne inconnue, anonyme mais qui symbolise, par extension, le peuple conquis… Et dont la conquête serait en fait une « liberté » au cours de laquelle le soldat venu d’Italie apprendra aux colonisés à aimer son drapeau (le « tricolore » de la chanson), c’est-à-dire la férule de l’Européen. On notera le terme « légionnaire » utilisé, qui fait référence à l’Antiquité, dont le souvenir et la soi-disant « pureté » passionne, anime même, les dirigeants fascistes. C’est cette thématique qui se poursuit dans le couplet suivant, où l’arrivant amène sa civilisation romaine; la date du 2 octobre 1935 étant celle du début de la guerre.

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Saprai baciare alla garibaldina (Tu sauras embrasser « à la garibaldienne »)
Col bel saluto alla romana (Avec le beau salut à la romaine)
Sarai così una giovane Italiana (Tu seras ainsi une jeune italienne).

La thématique de la colonisation, de l’assimilation des peuples conquis continue avec ce couplet très intéressant. Il est dit que la jeune femme de la chanson saura embrasser comme une italienne, et surtout avec le beau salut « à la romaine », c’est à dire fasciste. En effet, Mussolini accolait le terme de « romain » partout, ainsi le pas de l’oie des soldats italiens est devenu tout naturellement le « pas romain (passo romano)« . On doutera toutefois de la sincérité de cette chanson: les dirigeants de l’Italie, s’ils n’étaient pas les idéologues fous de l’Allemagne, n’étaient sans doute pas prêt à accorder une citoyenneté pleine et entière aux Ethiopiens… Le « Tu seras ainsi une jeune italienne » est donc particulièrement hypocrite. 

Avanti Italia nuova che sia gloria (En avant Italie nouvelle qui est la gloire?)
All’armi tu e volontà vittoria (Aux armes toi et la volonté de victoire)
Vittoria contro i barbari abissini (Victoire contre les barbares abyssins)
E contro i sanzionisti ginevrini (Et contre les sanctions de Genève)

Continuons. Là le couplet se fait carrément plus guerrier: l’ennemi est promis à une défaite certaine et ravalé au rang de « barbare ». Enfin, le chanteur brocarde les sanctions de la Société des Nations, basée à Genève. En effet cet ancêtre de l’ONU prit des mesures économiques contre l’invasion de l’Italie, jugée hors de propos et anachronique (voir photo ci-dessous). Le Négus, donc le chef des Éthiopiens, vint même plaider la cause de son pays en Suisse…

Plaque s’insurgeant violemment contre les sanctions prises par la SDN à l’encontre de l’Italie. Crédit photo: wikipédia

Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Piccolo fiore di orientalina (Petite fleure orientale
Labbra carnose dolce pupilla (Lèvres charnues, douce pupille)
Tutti i tuoi figli si chiameran Balilla (Tous tes fils s’apelleront « Balilla »)

Le chanteur, ensuite, se « calme », et s’adresse à nouveau à la jeune femme, en la bombardant de stéréotypes colonialistes du type « petite fleur d’orient », « lèvres charnues »… Plus intéressant, il lui dit que tous ses fils se nommeront « Balilla ». C’est faire là directement référence à une organisation du parti fasciste s’occupant de la jeunesse depuis 1926, comme l’Allemagne et l’URSS le firent par la suite (n’oublions pas que Mussolini arrive en 1922 au pouvoir). Ainsi, L’Opera nazionale Balilla, plus tard connue sous le nom de Gioventù Italiana Del’Littorio (dès 1937) encadrait et formatait les jeunes garçons de 8 à 14 ans. 

On voit donc là une chanson très intéressante, riche en thématiques et surtout éhontée. Terminons par l’écouter:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: II) In Africa si va

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite): 

La chanson de cette fois date elle aussi de 1935, et donc du début de la guerre. Elle est chantée par Renzo Mori, sur des paroles de Enrico Frati et une musique de Giovanni Raimondo. Là encore elle est un chant parlant des soldats partant pour l’Afrique et la guerre, ce que dit clairement le premier couplet. Quels thèmes y retrouve-t-on? Ceux que l’on pouvait déjà voir dans l’article précédent, à savoir: le rassemblement des soldats, leur pensée pour l’être aimé, et enfin leur départ en chantant le refrain de la chanson… Voyons donc les paroles.

In Africa si va (en Afrique l’on va)

La tromba del quartiere è già suonata (la trompette au quartier a déjà sonné),
è l’adunata del battaglion (c’est le rassemblement du bataillon),
un rigo in fretta per l’innamorata (une ligne [écrite] en hâte pour la bien-aimée),
poi la sfilata lungo i bastion (puis le défilé le long des bastions),
e per le strade ancora addormentate (et le long des rues encore endormies)
risuona dei soldati la canzon (résonne la chanson des soldats):

Et ce refrain se fait justement là plus guerrier, plus martial et même vengeur, rappel là encore de la terrible humiliation d’Adoua que j’avais déjà évoquée. Ce sont les paroles: « nous avons avec les Abyssins [nouvel archaïsme] beaucoup de comptes à régler ». Mussolini et le roi sont aussi cités directement, le premier ayant plus tard fait du second un « empereur » d’Afrique orientale.

Illustration de propagande dans le supplément du journal « Il corriere della serra ». Crédit photo: wikipédia.

Si va per Mussolini (L’on va pour Mussolini)
nell’Africa Oriental (en Afrique Orientale),
abbiam con gli abissini (nous avons, avec les Abyssins)
molti conti da saldar (beaucoup de comptes à régler).
Per chiudere la partita (pour fermer le jeu),
portiam nella giberna (nous portons dans notre cartouchière)
l’«elisir di lunga vita» (l' »élixir de longue vie »),
per il negus Selassiè (pour le Négus Sélassié)!
Si va per Mussolini (L’on va, pour Mussolini)
per l’Italia e per il Re (pour l’Italie et pour le roi)!

Qu’avons nous dans le second couplet? Encore des thèmes usés jusqu’à la corde dans le répertoire militaire: une vieille dame tremble d’émotion pour son fils qui part au combat, mais lui recommande tout de même de faire honneur à sa patrie. Rien là que de très courant.

Tremante d’emozione una vecchietta (Une petite vieille tremblante d’émotion)
si reca in fretta alla stazion (se rend en hâte à la gare)
per dire al figlio suo con amore (pour dire à son fils avec amour):
«Va, fatti onore, io pregherò!» (« Va! Fais-toi honneur, je prierai ! »).
«Ritornerò col segno del valore!» (« Je reviendrai avec le signe de la valeur [Peut-être une médaille comme la croix al valore militare?]
le grida il figlio mentre il treno va (lui crie le fils pendant que le train s’en va).

Enfin, nouveau passage triomphaliste et annonçant une future victoire des armes italiennes:

E un giorno non lontano (Et dans un jour proche),
laggiù sull’altipiano (là-bas sur le haut-plateau)
noi vedremo sventolare (nous verrons flotter)
più superbo il Tricolor (plus fier [superbe, hautain] le [drapeau] Tricolore)!
Si va per Mussolini (L’on va pour Mussoloni)
per l’Italia e per il Re (pour l’Italie et pour le roi)!

Pour terminer, écoutons la chanson:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: I) « Ti saluto, vado in Abissinia »

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Introduction et résumé des faits: 

Invasion cruelle (le régime de Mussolini utilisa des armes chimiques) et anachronique (une conquête coloniale en 1935), la guerre d’Ethiopie (Guerra d’Etiopia) est, avec la guerre d’Espagne, l’un de ces affrontements qui précédèrent et préparèrent la Seconde Guerre mondiale. Sans commune mesure avec le conflit qui ravagea la péninsule ibérique, elle est une tentative, alors que l’Europe a les yeux tournés vers l’Allemagne qui se réarme, à peu de frais d’accroître l’influence italienne dans la Corne de l’Afrique. En effet, la maison de Savoie y contrôle déjà d’autres territoires comme l’Érythrée et une partie de la Somalie. De plus, l’Ethiopie est l’un des derniers états indépendants du continent noir, et il a humilié l’Italie à la bataille d’Adoua en 1896, précédente tentative de conquête.

Octobre 1935, les premiers soldats italiens partent pour l’Ethiopie depuis Montevarchi en Toscane. Crédit photo: wikipédia.

Mussolini n’invente donc rien: il veut venger une défaite honteuse, augmenter l’étendue de l’empire colonial italien et renforcer son propre prestige. S’il parvient en effet à conquérir le pays, les combats sont longs car le terrain est peu propice, et l’adversaire coriace. Il lui fallut utiliser beaucoup d’artillerie, d’aviation et des gaz, le tout pour une conquête cher payée et qui lui aliène les démocraties occidentales, par le biais de la SDN qui proteste unanimement. Plutôt que de faire l’histoire de cette guerre, voyons-là à travers ses chansons. En effet, la musique militaire a beaucoup à nous apprendre et j’essaie de combattre le peu d’intérêt dont elle fait l’objet.

Ti saluto, vado in Abissinia (« Je te salue, je vais en Abyssinie). 

Ce sera la première chanson du dossier. Avant tout, ses origines: sur un texte de Giuseppe Perotti dit « Pinchi », et créée (c’est-à-dire interprétée pour la première fois) par un célèbre chanteur de l’époque, Ferdinando Crivelli dit « Crivel »… Elle est composée alors que les soldats italiens partent au combat, au début de la guerre, en octobre 1935, et les premières lignes évoquent précisément ces instants de départ (la traduction a été faite par moi-même, donc elle n’est pas parfaite):

Si formano le schiere e i battaglion (Les groupes et bataillons se forment)
che van marciando verso la stazion, (qui vont en marchant vers la gare)
Hanno lasciato il loro paesello (Ils ont laissé leur pays [comprenez « village », « campagne »],
cantando al vento un gaio ritornello (en chantant au vent un gai refrain)
Il treno parte: ad ogni finestrin (Le train part: à chaque fenêtre)
ripete allegramente il soldatin. (le soldat [soldatino: nuance affective] répète allègrement: )

On le voit, rien de guerrier là-dedans… Les hommes vont en unités à la gare, et chantent. C’est courant, et ce qu’on appelle une chanson de marche, qui les soutient pendant leur effort. Mais il est dit qu’ils entonnent le refrain même de l’air dont on parle. Soit:

«Io ti saluto! Vado in Abissinia; (« Je te salue! Je vais en Abissinie [notez l’archaïsme sur le nom])
cara Virginia; (chère Virginie)
ma tornerò. (mais je reviendrai.)
Appena giunto nell’accampamento, (A peine arrivé au campement)
dal reggimento (du régiment)
ti scriverò. (je t’écrirai.)
Ti manderò dall’Africa un bel fior, (Je t’enverrai d’Afrique une belle fleur)
che nasce sotto il ciel dell’Equator. (qui naît sous le ciel de l’Equateur)
Io ti saluto! Vado in Abissinia (Je te salue! Je vais en Abyssinie)
cara Virginia; (chère Virginie;)
ma tornerò.» (mais je reviendrai. »)

Ces paroles aussi sont typiques de beaucoup de chansons militaires, qui évoquent l’amour laissé derrière soi et non pas le sang, la sueur et la mort. Rien de bien incroyable là-dedans et chacun des hommes chantant à la fenêtre du train espère rapporter une belle fleur d’Afrique. Une thématique bien connue.

La suite est plus intéressante, qui dit:

Col giovane soldato tutt’ardor  (Avec le jeune soldat, toute l’ardeur)
c’è chi sul petto ha i segni del valor, (chez qui il y a sur la poitrine le symbole de la valeur)  -) Est-ce une allusion à la medaglia d’oro al valore militare? 
ma vanno insieme pieni di gaiezza (mais ils vont ensemble plain de gaieté)
cantando gli inni della giovinezza. (chantant les hymnes de la jeunesse)
e il vecchio fante che non può partir (et le vieux soldat qui ne peut partir)
rimpiange in cuore di non poter dir: (regrette (en secret?) de ne pouvoir dire)

Refrain.

La jeunesse est clairement associée aux générations précédentes, qui là ne peuvent se consoler de ne pouvoir partir. Vision bien idéalisée de la guerre… On notera, point capital, que lesdits jeunes chantent des « hymnes », allusion directe au régime, favorable à la force du bel âge (comme l’Allemagne et l’URSS). Rappelons que l’hymne du parti fasciste italien (PNF) s’appelle rien de moins que Giovinezza (« Jeunesse »)… Après le refrain, un final triomphaliste:

Dall’Alpi al mare fino all’Equator (Des Alpes à la mer jusqu’à l’Equateur)
innalzeremo ovunque il tricolor. (nous élèverons partout le tricolore.)
Io ti saluto! Vado in Abissinia;
cara Virginia;
ma tornerò!..

Là les dernières paroles ne sont plus seulement rattachées à la bien-aimée, au foyer que l’on quitte, mais directement aux futures conquêtes, le « tricolore » étant bien évidement le drapeau italien, que le texte a pour ambition de porter jusqu’à l’Equateur. La chanson est donc intéressante, typique d’une entrée en guerre.

Pour finir, écoutons-la:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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L’invasion de l’Albanie (1939)

Annexée purement et simplement dans l’indifférence d’un monde qui s’apprêtait à s’entre-déchirer, l’Albanie passa la Seconde Guerre mondiale sous la domination italienne. Comment en était-on arrivé là? C’est ce que nous allons voir.

L’Italie de l’entre-deux-guerres, dont le régime avait une composante guerrière et conquérante certaine, avait tenté de s’agrandir en rayant de la carte les derniers États indépendants et de faible puissance à sa portée, comme l’Ethiopie en 35-36. De plus, Rome cherchait à l’époque à améliorer ses positions dans les Balkans et en Méditerranée de manière générale. L’Albanie constituait à cet égard une option intéressante. Le pays était divisé entre chefs tribaux et donc vulnérable à des appétits extérieurs. Selon le principe bien connu du « diviser pour mieux régner »,  Rome soutint l’un des roitelets locaux, Ahmed Zogolli. Grâce à l’aide de son voisin, il  évinça ses rivaux et devint bientôt président puis roi, sous le titre de Zog Ier.

Pourtant, avec l’arrivée du comte Ciano (le gendre de Mussolini) aux affaires étrangères (été 1936), sa position se détériora. L’ambitieux ministre avait pour objectif avoué de s’emparer de son État au profit de l’Italie. L’intérêt national rejoint dans ce cas l’intérêt personnel car le personnage souhaite se faire bien voir à la fois du roi et de son beau-père, dont il briguait la succession. Il rallia ce dernier à sa cause après mars 1939 et l’invasion de ce qu’il restait de la Tchécoslovaquie par les Allemands. La situation était en effet favorable car Mussolini se trouva furieux de ce coup de force dont il n’avait pas été averti et qui ruina la fragile situation créée à Munich en octobre 1938. Or, il avait été un des piliers de cette conférence dont il se considérait même comme l’instigateur. En guise de « compensation », il permit donc à Ciano de mettre le plan à exécution, sans aucun respect des lois internationales. On voit déjà sa volonté de garder l’initiative, et la crainte d’être à la remorque de Berlin.

La semaine de Pâques de l’année 1939 vit donc les troupes italiennes pénétrer dans le pays sans résistance très organisée. Et c’est heureux pour Mussolini, car l’affaire fut improvisée du jour au lendemain et aurait tourner courir à la catastrophe en cas de riposte. Les ports albanais étaient incapables d’assurer un bon déchargement du matériel et les terrains d’aviation d’accueillir suffisamment d’avions, qui devaient venir de la Botte. Ces faiblesses structurelles se révélèrent catastrophiques lors de l’attaque ultérieure contre la Grèce, elle décidée à se battre. En fait, le régime de Zog était corrompu et peu soutenu et, comme je le disais en introduction, plus personne ne se souciait de l’Albanie à ce stade des événements.

Bersagliers à Durazzo (Durrës) en 1939. Crédit photo: image libre de droits (Wikipédia)

Vidéo de propagande de l’Institut Luce, avec l’invasion de l’Albanie en 1939

Bibliographie consultée: 

-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.

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