Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : VII) La résistance italienne après 1941
C’est un point très méconnu, mais pourtant réel: une résistance italienne continua longtemps après la conquête de l’Ethiopie par les Alliés ! Nous allons voir de quoi il s’agit dès à présent, et la conclusion générale interviendra la prochaine fois.
Une résistance italienne qui se poursuit…
S’étant rendus maîtres du territoire, les Alliés s’appuient sur les structures italiennes déjà mises en place, pour administrer et contrôler ce vaste territoire. Or, celles-ci sont alors chapeautées par le Comité italien d’Addis-Abbeba, qui a reçu des fonds du duc d’Aoste juste avant qu’il ne parte en captivité, où il meurt d’ailleurs. Ledit comité va les utiliser (les fonds, et les autres structures) pour entretenir une guérilla pro-italienne pendant des années. En effet, son deuxième chef, un certain Savelli, fait mine de collaborer avec les Britanniques, alors qu’il est membre des renseignements militaires italiens et va œuvrer contre eux.
L’argent et le réseau dont il dispose lui permettent ainsi de se déplacer et de financer des groupes armés qui luttent contre les Britanniques, sous couvert de travaux et de maintenance, et même parfois avec l’aide de chefs locaux. La guerre s’étant déplacée ailleurs, les Alliés ont assez peu de forces dans le secteur et en maintenir alors que les combats de Libye font rage leur déplaît. De plus, le relief gêne leurs actions comme il avait nuit aux précédents occupants. Ainsi, des zones entières retombent dans les mains des Italiens, qui vivent sur le pays. D’ailleurs, jusqu’à la fin de l’année 1942 les victoires de Rommel laissent croire à un succès final de l’Axe et le négus lui-même, revenu dans son pays négocie avec eux !
Jusqu’après la fin de la Seconde Guerre mondiale !
Evidemment, la défaite italo-allemande d’El-Alamein en octobre-novembre 1942 fait évoluer la situation dans un sens défavorable pour ces deux puissances et la guérilla italienne en Ethiopie s’en ressent. Toutefois son activité ne cesse pas pour autant. Les groupes de « résistants » mènent encore des actions et gênent les structures administratives qu’utilisent les Alliés. Leur espoir s’est amenuisé mais ils veulent encore retenir le plus possible de troupes alliées en Afrique de l’Est.
Toutefois, avec le temps et le manque de moyens croissant, ils doivent peu à peu se rendre à l’évidence et ces bandes armées déposent les armes les unes après les autres. Pour l’anecdote, les dernières ne le font qu’en 1946, soit après la fin de la Seconde Guerre mondiale! Savelli, quant à lui, peut rentrer en Italie depuis l’Egypte. Nous sommes certes loin de ces Japonais oubliés sur certaines îles et qui se sont rendus des années après 1945, mais le cas mérite quand même d’être cité.
Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):
Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:
-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.
Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:
-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.
Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:
-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.
Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:
-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.
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Les Italiens et l’Ethiopie, d’Adoua à la Seconde Guerre mondiale : III) Vers la guerre de conquête de 1935-1936
Souvenez-vous, nous avions laissé notre dossier en 1896: Adoua avait marqué la fin des espoirs italiens en Ethiopie. Pendant quelques décennies, celle-ci va donc vivre en paix. Rome se tourne vers l’annexion de territoires ottomans (guerre de 1911-1912) puis a trop à faire avec la Première Guerre mondiale (1915-1918) pour s’y intéresser. Enfin, le nouveau pouvoir fasciste arrivé en 1922 doit se consolider intérieurement et « pacifier », très cruellement au demeurant, l’Afrique du Nord avant de se tourner vers de nouveaux horizons.
Une nouvelle donne
En effet, Mussolini relance la politique coloniale de son pays. Il estime qu’une grande puissance se doit de posséder un vaste domaine outre-mer pour pouvoir compter sur la scène internationale. Or, le monde de l’après-guerre n’est plus celui de la fin du XIXe siècle: le partage a déjà été fait et l’hécatombe de 14-18 a commencé à changer les mentalités. Les empires coloniaux ne sont plus présentés de la même façon, et les guerres d’agression moins acceptées qu’avant. S’il y a une forme d’hypocrisie de la part des grandes puissances coloniales (qui n’entendent pas abandonner leurs conquêtes), il n’en reste pas moins que cela ne lui facilite pas la tâche.
Un temps hostile à l’Allemagne, ayant réussi quelques arbitrages coloniaux en sa faveur avec Paris et Londres (quelques modifications de frontières assez minimes), le dictateur italien en veut toutefois plus. Pourtant, les relations entre les deux pays autrefois ennemis se sont officiellement améliorées : l’Italie a appuyé l’entrée de l’Ethiopie à la SDN en 1923 puis signé un traité d’amitié avec elle en 1928. Toutefois, le discours change progressivement dès le début des années 30. Le régime totalitaire réarme en Érythrée, s’inquiète des visées économiques des occidentaux (barrages, chemins de fer…), et même des Japonais, dans le pays et adopte une rhétorique guerrière.

Des soldats italiens partent pour l’Afrique depuis la Toscane. On distingue déjà leurs casques coloniaux.
La marche vers la guerre
A cela plusieurs raisons. D’une part, Mussolini souhaite faire oublier les difficultés économiques internes de l’Italie par une victoire extérieure, procédé très courant. De plus, il désire relier les colonies italiennes d’Érythrée et de Somalie, ainsi qu’agrandir le domaine contrôlé par Rome, comme évoqué plus haut. Enfin, venger la défaite d’Adoua. Le tout en profitant de ce que Londres et Paris aient les yeux tournés vers le réarmement allemand: le moment lui semble être approprié pour agir.
Les historiens pensent donc que toutes ces raisons, plus beaucoup d’autres, le poussent à prendre la décision d’une intervention militaire massive entre le printemps et l’été 1935. Alors que les troupes s’acheminent vers l’Afrique, reste à trouver un prétexte officiel. Là, il faut rappeler que, malgré les traités, dont celui d’amitié de 1928 déjà cité, les escarmouches n’ont pas cessé le long des frontières entre les deux pays entre 1896 et 1935. Les Italiens ont repoussé plusieurs fois des bandes armées éthiopiennes mal contrôlées par le pouvoir central et, fin 1934, trois incidents de frontière au demeurant minimes sont saisis par Rome.
Les versions divergent énormément entre les deux pays et sont encore très difficiles à démêler, mais ce qui est sûr est que le dictateur italien tient là ce qu’il veut: arguant de la porosité des frontières et de l’insécurité générée par les troupes éthiopiennes, il fait préparer des plans et prévoit de débuter une offensive générale de conquête en octobre 1935…
Chanson de 1935 In Africa si va (En Afrique l’on va) justifiant le départ pour l’Afrique des soldats italiens. Le ton est évidemment de propagande et elle n’est ici présente qu’à titre d’illustration. Je reviendrai sur ces chansons que j’ai déjà évoquées il y a quelque temps.
Bibliographie utilisée (qui n’a pas pour but d’être exhaustive):
Synthèse que je trouve moyenne (beaucoup d’aspects manquent) mais utile:
-AVENEL (Jean-David) et PAOLETTI (Ciro), L’empire italien. 1885-1945, Paris, Economica, 2014, 156 p.
Excellente biographie de Mussolini, qui décrit très bien les années qui nous intéressent ici:
-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, coll. « Le grand livre du mois », 1999, 985 p.
Pour les aspects purement militaires, l’indispensable:
-ROCHAT (Giorgio), Le guerre italiane, 1935-1943. Dall’impero d’Etiopia alla disfatta, Torino, Einaudi, 2005, 460 p.
Pour les armes, le matériel et les combats, un fascicule Osprey, toujours très bien fait:
-NICOLLE (David), The Italian Invasion of Abyssinia 1935–36, Oxford, Osprey Publishing, coll. « Men-at-arms », 1997, 48 p.
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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: III) Africanina
AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci.
Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite):
Poursuivons notre tour d’horizon des chansons de la guerre d’Ethiopie en évoquant cette fois le cas de Africanina, le texte étant de Armando Gill et la musique de Nino Casiroli. Comme les deux précédentes, on va voir qu’elle évoque des thèmes chers au colonialisme, au fascisme mais aussi qu’elle fait référence à l’actualité directe liée à la guerre. Débutons par l’analyse de son titre: il est une expression désignant une femme africaine, presque un diminutif. Le suffixe ina (ino au masculin) lui, a une valeur méliorative, affective en Italien.
Africanina
Tre conti son già stati regolati (Trois comptes ont déjà été réglés)
Con Adua, Macallè ed Amba Alagi (Avec Adoua, Maccalè et Amba Alagi)
Tra poco chiuderemo la partita (Avant peu nous mettrons fin à la partie)
Vincendo la gloriosa impresa ardita (en vainquant la glorieuse et hardie entreprise). -) Redondant et pompeux!
Il y a déjà là à dire! Tout d’abord, comme dans les autres chansons que j’ai évoquées, le texte est encore une fois obnubilé par les défaites de la campagne catastrophique de 1895-1896 (voir articles précédents). La « pilule » n’est jamais passée semble-t-il et la chanson parle une nouvelle fois de la vengeance de cette défaite indélébile, qui culmina avec Adoua.
Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Tu della libertà sarai regina (Tu seras la reine de la liberté)
Col legionario liberatore (Avec le légionnaire libérateur)
Imparerai ad amare il tricolore (Tu apprendras à aimer le tricolore)
Due ottobre ricordatelo a memoria (Rappelle-toi du deux octobre)
Nell’Africa Orientale avrà una storia (En Afrique Orientale il aura une histoire)
Romana civiltà questa missione (La civilisation romaine est cette mission)
Ed ha fiorito cento e una canzone (Et cent et une chansons ont fleuri)
On est là en plein colonialisme, qui sent plus le 19e siècle qu’autre chose: le chanteur s’adresse à une Éthiopienne inconnue, anonyme mais qui symbolise, par extension, le peuple conquis… Et dont la conquête serait en fait une « liberté » au cours de laquelle le soldat venu d’Italie apprendra aux colonisés à aimer son drapeau (le « tricolore » de la chanson), c’est-à-dire la férule de l’Européen. On notera le terme « légionnaire » utilisé, qui fait référence à l’Antiquité, dont le souvenir et la soi-disant « pureté » passionne, anime même, les dirigeants fascistes. C’est cette thématique qui se poursuit dans le couplet suivant, où l’arrivant amène sa civilisation romaine; la date du 2 octobre 1935 étant celle du début de la guerre.
Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Saprai baciare alla garibaldina (Tu sauras embrasser « à la garibaldienne »)
Col bel saluto alla romana (Avec le beau salut à la romaine)
Sarai così una giovane Italiana (Tu seras ainsi une jeune italienne).
La thématique de la colonisation, de l’assimilation des peuples conquis continue avec ce couplet très intéressant. Il est dit que la jeune femme de la chanson saura embrasser comme une italienne, et surtout avec le beau salut « à la romaine », c’est à dire fasciste. En effet, Mussolini accolait le terme de « romain » partout, ainsi le pas de l’oie des soldats italiens est devenu tout naturellement le « pas romain (passo romano)« . On doutera toutefois de la sincérité de cette chanson: les dirigeants de l’Italie, s’ils n’étaient pas les idéologues fous de l’Allemagne, n’étaient sans doute pas prêt à accorder une citoyenneté pleine et entière aux Ethiopiens… Le « Tu seras ainsi une jeune italienne » est donc particulièrement hypocrite.
Avanti Italia nuova che sia gloria (En avant Italie nouvelle qui est la gloire?)
All’armi tu e volontà vittoria (Aux armes toi et la volonté de victoire)
Vittoria contro i barbari abissini (Victoire contre les barbares abyssins)
E contro i sanzionisti ginevrini (Et contre les sanctions de Genève)
Continuons. Là le couplet se fait carrément plus guerrier: l’ennemi est promis à une défaite certaine et ravalé au rang de « barbare ». Enfin, le chanteur brocarde les sanctions de la Société des Nations, basée à Genève. En effet cet ancêtre de l’ONU prit des mesures économiques contre l’invasion de l’Italie, jugée hors de propos et anachronique (voir photo ci-dessous). Le Négus, donc le chef des Éthiopiens, vint même plaider la cause de son pays en Suisse…

Plaque s’insurgeant violemment contre les sanctions prises par la SDN à l’encontre de l’Italie. Crédit photo: wikipédia
Pupetta mora,africanina (Petite fille noire?, africanina)
Piccolo fiore di orientalina (Petite fleure orientale
Labbra carnose dolce pupilla (Lèvres charnues, douce pupille)
Tutti i tuoi figli si chiameran Balilla (Tous tes fils s’apelleront « Balilla »)
Le chanteur, ensuite, se « calme », et s’adresse à nouveau à la jeune femme, en la bombardant de stéréotypes colonialistes du type « petite fleur d’orient », « lèvres charnues »… Plus intéressant, il lui dit que tous ses fils se nommeront « Balilla ». C’est faire là directement référence à une organisation du parti fasciste s’occupant de la jeunesse depuis 1926, comme l’Allemagne et l’URSS le firent par la suite (n’oublions pas que Mussolini arrive en 1922 au pouvoir). Ainsi, L’Opera nazionale Balilla, plus tard connue sous le nom de Gioventù Italiana Del’Littorio (dès 1937) encadrait et formatait les jeunes garçons de 8 à 14 ans.
On voit donc là une chanson très intéressante, riche en thématiques et surtout éhontée. Terminons par l’écouter:
Bibliographie:
-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:
Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:
-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.
-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.
-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.
Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:
-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.
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