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La guerre d’Ethiopie (1935-1936) vue par ses chansons: I) « Ti saluto, vado in Abissinia »

AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci. 

Introduction et résumé des faits: 

Invasion cruelle (le régime de Mussolini utilisa des armes chimiques) et anachronique (une conquête coloniale en 1935), la guerre d’Ethiopie (Guerra d’Etiopia) est, avec la guerre d’Espagne, l’un de ces affrontements qui précédèrent et préparèrent la Seconde Guerre mondiale. Sans commune mesure avec le conflit qui ravagea la péninsule ibérique, elle est une tentative, alors que l’Europe a les yeux tournés vers l’Allemagne qui se réarme, à peu de frais d’accroître l’influence italienne dans la Corne de l’Afrique. En effet, la maison de Savoie y contrôle déjà d’autres territoires comme l’Érythrée et une partie de la Somalie. De plus, l’Ethiopie est l’un des derniers états indépendants du continent noir, et il a humilié l’Italie à la bataille d’Adoua en 1896, précédente tentative de conquête.

Octobre 1935, les premiers soldats italiens partent pour l’Ethiopie depuis Montevarchi en Toscane. Crédit photo: wikipédia.

Mussolini n’invente donc rien: il veut venger une défaite honteuse, augmenter l’étendue de l’empire colonial italien et renforcer son propre prestige. S’il parvient en effet à conquérir le pays, les combats sont longs car le terrain est peu propice, et l’adversaire coriace. Il lui fallut utiliser beaucoup d’artillerie, d’aviation et des gaz, le tout pour une conquête cher payée et qui lui aliène les démocraties occidentales, par le biais de la SDN qui proteste unanimement. Plutôt que de faire l’histoire de cette guerre, voyons-là à travers ses chansons. En effet, la musique militaire a beaucoup à nous apprendre et j’essaie de combattre le peu d’intérêt dont elle fait l’objet.

Ti saluto, vado in Abissinia (« Je te salue, je vais en Abyssinie). 

Ce sera la première chanson du dossier. Avant tout, ses origines: sur un texte de Giuseppe Perotti dit « Pinchi », et créée (c’est-à-dire interprétée pour la première fois) par un célèbre chanteur de l’époque, Ferdinando Crivelli dit « Crivel »… Elle est composée alors que les soldats italiens partent au combat, au début de la guerre, en octobre 1935, et les premières lignes évoquent précisément ces instants de départ (la traduction a été faite par moi-même, donc elle n’est pas parfaite):

Si formano le schiere e i battaglion (Les groupes et bataillons se forment)
che van marciando verso la stazion, (qui vont en marchant vers la gare)
Hanno lasciato il loro paesello (Ils ont laissé leur pays [comprenez « village », « campagne »],
cantando al vento un gaio ritornello (en chantant au vent un gai refrain)
Il treno parte: ad ogni finestrin (Le train part: à chaque fenêtre)
ripete allegramente il soldatin. (le soldat [soldatino: nuance affective] répète allègrement: )

On le voit, rien de guerrier là-dedans… Les hommes vont en unités à la gare, et chantent. C’est courant, et ce qu’on appelle une chanson de marche, qui les soutient pendant leur effort. Mais il est dit qu’ils entonnent le refrain même de l’air dont on parle. Soit:

«Io ti saluto! Vado in Abissinia; (« Je te salue! Je vais en Abissinie [notez l’archaïsme sur le nom])
cara Virginia; (chère Virginie)
ma tornerò. (mais je reviendrai.)
Appena giunto nell’accampamento, (A peine arrivé au campement)
dal reggimento (du régiment)
ti scriverò. (je t’écrirai.)
Ti manderò dall’Africa un bel fior, (Je t’enverrai d’Afrique une belle fleur)
che nasce sotto il ciel dell’Equator. (qui naît sous le ciel de l’Equateur)
Io ti saluto! Vado in Abissinia (Je te salue! Je vais en Abyssinie)
cara Virginia; (chère Virginie;)
ma tornerò.» (mais je reviendrai. »)

Ces paroles aussi sont typiques de beaucoup de chansons militaires, qui évoquent l’amour laissé derrière soi et non pas le sang, la sueur et la mort. Rien de bien incroyable là-dedans et chacun des hommes chantant à la fenêtre du train espère rapporter une belle fleur d’Afrique. Une thématique bien connue.

La suite est plus intéressante, qui dit:

Col giovane soldato tutt’ardor  (Avec le jeune soldat, toute l’ardeur)
c’è chi sul petto ha i segni del valor, (chez qui il y a sur la poitrine le symbole de la valeur)  -) Est-ce une allusion à la medaglia d’oro al valore militare? 
ma vanno insieme pieni di gaiezza (mais ils vont ensemble plain de gaieté)
cantando gli inni della giovinezza. (chantant les hymnes de la jeunesse)
e il vecchio fante che non può partir (et le vieux soldat qui ne peut partir)
rimpiange in cuore di non poter dir: (regrette (en secret?) de ne pouvoir dire)

Refrain.

La jeunesse est clairement associée aux générations précédentes, qui là ne peuvent se consoler de ne pouvoir partir. Vision bien idéalisée de la guerre… On notera, point capital, que lesdits jeunes chantent des « hymnes », allusion directe au régime, favorable à la force du bel âge (comme l’Allemagne et l’URSS). Rappelons que l’hymne du parti fasciste italien (PNF) s’appelle rien de moins que Giovinezza (« Jeunesse »)… Après le refrain, un final triomphaliste:

Dall’Alpi al mare fino all’Equator (Des Alpes à la mer jusqu’à l’Equateur)
innalzeremo ovunque il tricolor. (nous élèverons partout le tricolore.)
Io ti saluto! Vado in Abissinia;
cara Virginia;
ma tornerò!..

Là les dernières paroles ne sont plus seulement rattachées à la bien-aimée, au foyer que l’on quitte, mais directement aux futures conquêtes, le « tricolore » étant bien évidement le drapeau italien, que le texte a pour ambition de porter jusqu’à l’Equateur. La chanson est donc intéressante, typique d’une entrée en guerre.

Pour finir, écoutons-la:

Bibliographie:

-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:

Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:

-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.

-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.

-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.

Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:

-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.

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Mes vidéos d’histoire sur youtube:  La chaîne

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