L’armement des Romains durant le Haut-Empire : I) Introduction
C’est bien là une image d’Epinal que de rappeler la puissance des armées romaines, capables d’avoir conquis puis tenu l’immense empire que l’on sait durant des siècles. Or, cette formidable histoire n’a été rendue possible qu’avec une organisation exceptionnelle pour le monde antique , un choix sélectif dans le recrutement, un entraînement et des tactiques éprouvées. De plus, l’armement même des troupes romaines, légionnaires comme auxiliaires, n’est pas étranger à ce qui a été dit et le présent dossier va en brosser un rapide portrait. On verra qu’il est plus étonnant et varié qu’on pourrait de prime abord le croire.

En rouge, l’empire romain à la mort d’Auguste. En vert à celle de Trajan. Crédit photo: Larousse.
Une réalité souvent méconnue
Commençons par quelques mots pour rééquilibrer certaines idées, avant de revenir sur les armes en elles-mêmes. En fait, celles-ci furent très nombreuses et finalement très peu standardisées. Poursuivons sur cette idée: des formes de tenues de combat et de parade existaient déjà et on ne montre pas les mêmes choses dans les deux cas (il s’agit de s’afficher dans le premier et d’être efficace dans le second).
Dans l’Antiquité, il était d’ailleurs courant de récupérer ce qu’il y avait de mieux sur ses ennemis vaincus et Rome n’échappa pas à la règle. Si on sait communément qu’elle emprunta énormément au monde grec, on ne le dit pas assez pour les autres peuples. Ainsi, les sources de l’époque nous renseignent sur le légionnaire du temps d’Auguste, le premier empereur. Loin de ressembler à l’image qu’en donne le cinéma ou la littérature, il est « coiffé d’un casque gaulois, protégé par une cuirasse grecque et [il] tient à la main un glaive espagnol ! » (Yann le Bohec). Méfions nous donc des apparences: autres temps, autres mœurs. Après avoir posé ces quelques généralités, nous allons voir plus en détail ce qu’il en est.
Bibliographie:
-LE BOHEC (Yann), L’armée romaine (3e ed. revue et augmentée), Picard, coll. « Antiquité synthèses », Paris, 2002, 292 p.
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L’armée romaine du IIIe siècle: II) Un nouveau visage.
De nouvelles formes de combat.
L’Empire mit donc en place toute une série de réponses aux questions posées par la précédente partie. En premier lieu le combat en lui-même évolua. On a dit que Rome ne pouvait plus se permettre de vider les frontières de ses troupes. Qu’à cela ne tienne, elle trouva la parade avec ce que l’on appelle la vexillation. C’est à dire qu’au lieu d’envoyer une légion entière à l’autre bout du monde romain, on prit l’habitude de lui prélever une partie seulement (jusqu’à deux cohortes, une légion en comptant 10, pour un total de 6000 hommes). Procédé efficace, et preuve de la maturité stratégique romaine dans un monde sans le raffinement technologique que l’on connaît… Ainsi l’armée de l’empereur Sévère Alexandre à Antioche en 231 (rassemblée contre les Perses) comprenait des détachements venus d’Égypte, du Rhin et du Danube. Regroupées derrière un étendard qui leur donna leur nom, le vexillum, les vexillations devinrent de plus en plus utilisées avec le temps et formèrent l’armée de campagne des empereurs.
Enfin on constate que le cœur de l’Empire, à savoir l’Italie, est considérablement renforcé en troupes par Septime Sévère: la garnison de Rome double et est réorganisée (les prétoriens, soit l’équivalent d’une garde impériale, notamment). De plus il cantonne aux portes de Rome même, à Albano, sa 2ème légion « parthique ». Sans doute s’agissait-il là d’une réserve à l’intérieur de l’empire (on l’a dit les troupes sont sur les frontières). Mais nous n’en savons pas beaucoup plus.
Toujours est-il que cette hypothèse est beaucoup plus plausible qu’une soi-disant volonté de mettre l’Italie en coupe réglée avant d’aller affronter Pescennius Niger, son rival d’orient dans la course à l’Empire (de nombreuses crises pour le pouvoir éclatent durant ce siècle). Dans un même temps l’Empire développa sa cavalerie, qui était jusque-là plutôt faible. A la fois pour obtenir une meilleure mobilité mais aussi- et surtout- pour répondre avec les mêmes armes qu’eux aux ennemis de l’empire. En effet ceux-ci (Sarmates, Perses par exemple) usaient avec succès de cavaliers lourds puissamment protégés, c’est ce qu’on appelle les cataphractaires (du nom de leur armure, la cataphracte) ou clibanarii. Ainsi on pense que la proportion de cavaliers-fantassins passe d’1/10 à 1/3 entre le deuxième et le quatrième siècle. C’est considérable!
Mais cela ne veut pas dire que l’infanterie est oubliée et elle-même évolue grandement. En effet elle doit dorénavant principalement faire face aux cavaliers lourds cités plus haut. Dion Cassius, Hérodien (deux historiens de l’époque) et l’épigraphie (les inscriptions) ont décrit son évolution. Dorénavant les formations des cohortes d’infanterie deviennent de plus en plus compactes. Les deux premiers rangs remplacent leur pilum traditionnel par une longue lance (hasta) qu’ils plantent en terre pour accueillir comme il se doit l’ennemi à cheval. Derrière eux un rang armé de javelots (lancea) puis un autre fait d’archers (sagitarii). De plus le court glaive (gladius) est remplacé par l’épée longue (spatha) alors que les boucliers, casques et armures s’adaptent eux aussi. Mais l’état actuel de la documentation, toujours parcellaire pour l’Antiquité, ne permet par d’être sûrs et il est évident que suivant l’ennemi et le terrain ce dispositif pouvait changer.

Reconstitution d’une spatha, pour cavalerie romaine.
Évolution des structures et du commandement:
Suivant la troupe, l’encadrement de l’armée ne resta pas non plus figé et se transforma au cours d’une lente évolution qui culmina sous le règne de Gallien (253/260-268). C’est par exemple le moment où l’armée qui accompagne l’empereur, appelée le comitatus, prend de l’importance (elle s’affirme par rapport aux forces des frontières, jusque là quasi totalité de l’armée) et où ses officiers adoptent un titre particulier, le protector fonction auparavant mal connue. On sait aussi que l’édit de Caracalla de 212 (qui accorde la citoyenneté romaine à quasiment tous les hommes libres de l’Empire) a effacé en grande partie la distinction entre légionnaires et auxiliaires, qui n’étaient pas citoyens. Toutefois une mesure est primordiale et certaine: la décision de Gallien de priver les sénateurs du commandement militaire. En effet ces derniers, aux cours de leur carrière sénatoriale (le fameux cursus honorium), exerçaient les postes de tribun laticlave (aide de camp) puis de légat de légion (= commandant). Or plus aucun n’est attesté après 260.
Il en découle que les légions furent menées à la guerre par des chevaliers, le second ordre de l’état romain, complémentaire des sénateurs. Cette évolution de première importance est expliquée par Michel Christol de la façon suivante: les chevaliers du IIIe siècle ne sont plus tant des notables municipaux italiens ou des vieilles provinces pacifiées qu’il ont longtemps été, que des soldats sortis du rang depuis les points menacés de l’Empire, souvent d’Ilyricum (Balkans). Ainsi, Gallien ne faisait là qu’entériner un état de fait: ces hommes étaient les mieux à même de commander dans des régions en guerre quasi-permanente. De l’autre coté les sénateurs ne prisaient que très peu une vie militaire rude et bien loin de l’Italie. De plus entre le tribunat de légion au début de leur carrière (=aide de camp du légat) et la légation de légion (=commandement de la légion) au niveau de la préture il s’écoulait un certain temps sans responsabilités militaires, nuisible à leur formation d’officier. Enfin les chefs issus du rang étaient, comme leurs hommes, de plus en plus recrutés localement à la différence des sénateurs encore bien italiens ou issus des provinces très romanisées ou hellénisées. De plus, depuis les Sévères, les chevaliers furent à plusieurs reprises chargés de commandements militaires extra-ordinaires. Extra-ordinaires dans le sens où ils dépassaient le simple cadre de la province, par laquelle tout passe dans l’état romain. Par exemple le chevalier Marcus Cornelius Octavianus est chargé entre 253 et 258, sous le titre de dux (soit « chef », le mot duce qui désigne Mussolini vient de là), de défendre l’Afrique du nord (les provinces d’Afrique, de Maurétanie et de Numidie) toute entière contre les Maures. Michel Christol appelle cette nouvelle élite les viri militares, les hommes militaires car sortis des rangs de l’armée, ce que n’étaient pas les sénateurs.

Dessin de Giuseppe Rava représentant des guerriers germains.
Bibliographie :
COSME (Pierre), L’Etat romain entre éclatement et continuité, Paris, Seli Arslan, 1998, 287 p.
COSME (Pierre), L’armée romaine VIIIe s. av. J.-C. – Ve s. ap. J.-C., Paris, Armand Colin, 2007, 312 p.
CHRISTOL (Michel), L’Empire romain du IIIe siècle. Histoire politique 192-325 après J.-C., Paris, Errance, 1997, 288 p.
Je ne l’avais pas lu à l’époque de cette rédaction, mais on peut l’acquérir les yeux fermés:
LE BOHEC (Yann), L’armée romaine dans la tourmente. Une nouvelle approche de la crise du IIIe siècle, Monaco-Paris, Editions du rocher, coll. « Art de la guerre », 2009, 320 p.
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