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La prise de la Smala d’Abd-El-Kader (le 16 mai 1843) III sur III.

La smala est repérée: 

On marche alors de nuit et Yusuf réduit au silence 11 des 12 donneurs de signaux ennemis capturés (un seul est laissé en vie et doit aller porter la nouvelle aux tribus, pour l’exemple). De plus, un esclave échappé de la smala tombe opportunément entre les mains de la colonne, colonne qui apprend que la ville de tentes s’échappe vers l’est, et doit s’arrêter au point d’eau de Tagrim. D’autres captures confirment bientôt la chose et le duc décide d’attaquer le susdit point. Soit la smala sera capturée, soit on la canalisera vers l’ouest pour qu’elle tombe, peut-être, entre les mains d’une autre colonne (qui n’est toutefois pas au courant. Les communications de l’époque étant ce qu’elles sont). Pour aller plus vite il décide de séparer sa troupe en deux, opération risquée s’il en est!

Il ne prend avec lui que la cavalerie, l’artillerie montée sur mulets et une partie des Zouaves qui se sont débarrassés de leur barda. La petite unité marche 24 heures et commence à manquer de boisson, lutte contre une tempête de sable. Le découragement point. Obliquer vers un point d’eau et surseoir à l’opération semble être le meilleur parti à prendre.
C’est à ce moment que des éclaireurs avertissent le commandement qu’ils ont repéré la smala. Un conseil est réuni pour décider de la marche à suivre. Aumale hésite, Yusuf assène qu’il faut saisir la balle au bond; les guides arabes (qui ont peut-être de la famille là-bas) parlent, eux, de reculer… mais leurs paroles ont plutôt l’effet inverse de ce qu’elles visaient à produire et excitent l’ardeur guerrière. Enfin, les officiers du duc craignent pour sa vie (il est le fils du roi et fort jeune, je le rappelle) . Le colonel Maurice, l’un des chefs, rejoint alors Yusuf et déclare qu’il est temps d’agir sous peine de voir l’occasion passer, voire même que les Arabes prennent conscience de la présence française et attaquent. Aumale finit par trancher le nœud Gordien: « Je ne suis pas d’une race à reculer, vous allez charger » (propos rapporté par le général Du Barail dans ses fameux Souvenirs).

Le général du Barail, auteur des fameux « Souvenirs » qui aident à bien comprendre la mentalité militaire d’une bonne partie du 19e siècle. Crédit photo: wikipedia.

Attaque de la smala et conclusion:

Par chance pour lui, Abd el-Kader était parti du camp avec ses meilleures troupes et lieutenants, le seul restant étant assez timoré. Ainsi, l’effet de surprise bat son plein et la colonne passe à l’attaque sans avoir été repérée, alors que le camp n’était même pas totalement installé. En une heure et demie la messe est dite : la smala est disloquée au prix de 9 morts et dix blessés français, selon les rapports. Beaucoup d’Arabes fuirent et un nombre important de ceux-ci fut capturé. Dès le 17 un convoi est organisé pour leur transfert, ainsi que celui du butin, qui est considérable. Le lendemain, la colonne repart. Les victimes algériennes se comptent au nombre de 300 et Aumale est loué pour son « humanité », du moins par les Français (et eux seuls évidemment). En fait une partie importante des survivants mourut de sa fuite dans la steppe, manquant d’eau et de nourriture. Beaucoup furent également razziés par diverses tribus, voire même la colonne de l’ouest. Celle d’Aumale a ramené avec elle 3500 prisonniers, dont des proches de l’émir (mais pas sa famille). Saint-Arnaud (le futur ministre de la Guerre de Napoléon III, formé en Algérie comme la plupart de ses contemporains, voir ici) loua « la hardiesse admirable de ce coup ». D’autres crieront à la tentative risquée, arguant que la résistance organisée du camp eût été catastrophique pour Aumale. Bugeaud lui-même fut plutôt favorable (il fallait effectivement brusquer les choses selon lui), mais pas exempt de remarques.

Le butin est considérable, on l’a dit: l’état en revendit une partie. Pour avoir une idée de la chose, il faut rappeler la rumeur qui circulait alors: les spahis auraient empoché chacun l’équivalent de 1500 francs. C’est à dire trois ans de salaire d’un ouvrier! Alors que penser de la part des officiers? Et de tous ceux qui se sont servis entre l’Algérie et la vente par l’état? Toujours-est-il qu’Aumale est promu général de division et succède à Bugeaud à son poste de gouverneur de l’Algérie en 1847. Yusuf est fait commandeur de la légion d’honneur. Abd El-Kader sort évidemment affaibli de l’affaire, mais non détruit; il ne se rendit en effet que quatre ans plus tard. L’épisode est tout de même important, qui suscita le gigantesque tableau de Vernet au salon de 1845.

Horace Vernet, « La prise de la smala », 1845.

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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La prise de la Smala d’Abd-El-Kader (le 16 mai 1843) II sur III.

Description de la smala:

Au départ l’émir disposait de capitales à la lisière du Tell (la zone littorale) et des hauts-plateaux, mais les Français les prirent les unes après les autres. D’où sa volonté de créer une capitale mobile dès 1841, un ensemble qui se déplacerait constamment. Pour l’historien Jacques Berque la symbolique est forte, qui permettrait de renouer avec la tradition ancestrale des cavaliers-conquérants arabes… En effet l’émir insistait fortement sur la liberté des nomades. De plus il faut savoir qu’il s’y connaissait bien en chevaux et écrivit même sur les purs-sangs arabes après sa reddition.
Ainsi, cette ville de tentes se déplace en convoi et s’installe en cercles (douars) concentriques d’une quinzaine d’unités. Ceux qui ont visité cette fameuse smala attestent de sa bonne organisation, police intérieure. Elle aurait compté 368 douars. Le duc d’Aumale, voir plus bas, parle d’un ensemble de 20.000 personnes et Abd el-Kader de 60,000. En fait le duc n’aurait peut être pris qu’une partie de l’ensemble, ce qui expliquerait la différence. La smala disposait d’artisans, d’une vie religieuse, soit un système rodé. Elle se ravitaillait par troupeaux, par achat de céréales dans le nord. Malgré tout, cet ensemble restait difficile à repérer car fréquentait plus volontiers les hauts-plateaux (largement plus difficiles d’accès et inhospitaliers) qu’autre chose. On se contentait alors de bloquer les accès de ceux-ci vers le Tell. C’est dans l’un de ces postes, Boghar, qu’était établi le duc d’Aumale. A cette époque la smala était plus mythique qu’autre chose… Toutefois, le fameux colonel Yusuf (cf plus bas) convainc Aumale que l’affaire est potentiellement juteuse et permettrait d’affaiblir Abf el-Kader…

Henri d’Orléans, duc d’Aumale.

Aumale et son entourage:

Cinquième fils de Louis-Philippe, envoyé à dessein en Algérie avec le grade de général de brigade, le jeune Aumale, âgé de 21 ans, se verrait bien réussir quelque coup d’éclat. D’autant plus que son entourage le juge plutôt courageux. Il est donc entouré du mystérieux Yusuf, apparu sur la scène algérienne en 1830, comme interprète de Tunis. Il réussit à se faire apprécier grâce aux services (il est nommé commandant des Spahis, ces fiers cavaliers) qu’il rend, bien qu’il soit auréolé de brume. L’homme prétend en effet être un ancien mamelouk ( soi-disant arraché à une famille chrétienne) du bey. Il aurait été forcé de fuir, s’étant amouraché de la fille du dirigeant tunisien. Certains le disent levantin de basse extraction, et d’autres le taxent de judaïsme, ce qui est suffisant pour être méprisé par beaucoup à l’époque (ne jugeons pas avec nos yeux actuels, pareil comportement est courant au XIXe siècle!). Toujours est-il que le personnage est réellement un arriviste. Volontiers flagorneur, il passe également pour intéressé. D’ailleurs, il n’est pas le dernier à piller. Il aurait donné à ses soldats une récompense pour les paires d’oreilles, puis les têtes (pour s’assurer de leur mort) des ennemis. Cette réputation permet aux Français de se décharger sur lui. Mais il est utile et connaît l’art de s’entourer: il accueille dans son régiment des gens qui veulent se faire oublier en France. Parmi eux, un certain Fleury, qui fut ultérieurement le conseiller de Louis-Napoléon pour son coup d’état! Près d’Aumale on trouve aussi Ameur Ben Ferhat, combattant du coté français avec ses cavaliers. Mais également l’étonnant Ismail Urbain, métis de Guyane proche des Saint-Simoniens (le socialisme de l’époque grosso modo, Napoléon III était touché par ces idées lui aussiet converti à l’Islam (lors d’un voyage en Égypte), Prônant une générosité à l’endroit des Arabes, il fut évidemment proche de Napoléon III, précurseur (et quasi-unique prêcheur) en la matière (de Gaulle le rappela en son temps). Urbain est à ce moment interprète auprès du duc, ayant une parfaite connaissance écrite et orale de l’arabe.

On pense donc à s’emparer de la smala avec 13.000 fantassins, 600 cavaliers (Spahis et Chasseurs d’Afrique) plus 30 gendarmes, une section d’artillerie, un goum (sous Ben Ferhat, ces unités étant des troupes locales. Au Maroc on parle de Tabors) et un convoi de 800 chameaux portant 20 jours de vivres. Le 10 mai la colonne s’ébranle, quitte Boghar et cinq jours plus tard apprend la présence de la smala à 60 kilomètres au sud…

Spahis. Crédits photo:  stock encyclopédie

 

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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La prise de la Smala d’Abd el-Kader (I sur III)

Introduction:

Ce sujet est un épisode intéressant de l’histoire du XIXe siècle, car autour de cet évènement ponctuel, on peut retracer tout un ensemble historique, une certaine ambiance. Tout d’abord que veut dire ce terme de « smala », jusque là inconnu en Français? Et bien en Arabe cela désigne un camp. D’après un manuel du temps, c’est en fait la caravane d’un chef avec sa famille, domestiques et esclaves, ses biens. Le Duc d’Aumale (l’un des fils de Louis-Philippe, dont on va voir l’implication dans le sujet sous peu) rajoute que c’était « une capitale ambulante, un centre d’où partaient tous les ordres, les décisions importantes ». Un grand nombre de familles faisaient partie de celle de l’émir rebelle. Or, quand la nouvelle de sa prise arriva à Paris le 26 mai, le roi ne savait pas ce que ce terme voulait dire! Pas plus que son entourage… Il lui fallut attendre quelques temps avant d’avoir l’explication.

Abd el-Kader: 
Mais commençons par le commencement… Abd el-Kader est né vers 1808 à Mascara, dans l’ouest algérien. Il a donc 35 ans au moment des faits. Il vient d’une famille arabe de notables religieux (si les arabes influents ne le sont pas, c’est qu’ils sont des guerriers.). C’est à dire des gens de lettres ayant une certaine sacralité qui les fait vivre (mais également des terres et troupeaux). En effet, on prête même des miracles à ces catégories de personnes. Mais seul Dieu étant saint dans l’Islam, l’émir refusait cette image que l’on avait de lui.
Le pays est, à sa naissance, sous la coupe des Turcs, qui gardent un certain prestige (ils ont empêché les Espagnols de prendre possession du pays, le sultan est alors le chef de l’islam, soit le commandeur des croyants) mais dont l’occupation est mal acceptée. D’autant plus qu’ils ont un certain mépris pour les Kabyles et les Arabes . Sa famille est donc vue par l’occupant turc comme subversive et son père juge que le moment est bien choisi pour effectuer le pèlerinage à la Mecque (hadj). Pour ce faire ils passent également par l’Égypte où le jeune Abd-el-Kader est marqué par les effets de la politique de Méhémet Ali ( le chef de l’Egypte, qui s’inspire de Napoléon contre qui il s’était battu). C’est peu après son retour en Algérie que les Français y posent pied (d’abord sur la bande littorale uniquement), expulsant les cadres turcs du pays, qui sombre ainsi dans le chaos. Deux ans plus tard, en 1832, il est proclamé émir par les tribus arabes de l’ouest, sa région. Vraisemblablement pour ses qualités et son influence. Il regroupe autour de lui la province d’Oran et présente essentiellement sa lutte comme étant religieuse: un musulman ne peut tomber sous la coupe d’un souverain étranger.
S’il est patriote, il faut se garder de faire de lui un nationaliste Algérien, ce serait par trop anachronique. Il a tout de même la volonté à créer un nouvel état, au sein des frontières de l’ancienne régence d’Alger, occupée par les Français. Que pensaient ces derniers de lui? Et bien, on le rappelle, le gouvernement n’a d’abord pas de politique cohérente vis à vis de l’Algérie. Le pays a été occupé un peu par défaut après l’expédition d’Alger (elle-même lancée par Charles X pour restaurer son prestige à peu de frais), par peur du déshonneur qu’il y aurait à abandonner une conquête. Les arguments économiques et autres servent plutôt de justification postérieure. Beaucoup estiment en fait que la domination française est possible par l’intermédiaire des chefs locaux, d’où négociations et traités.

Abd el-Kader

Contre les Français: 

Deux concernent Abd-el-Kader ; le premier en 1834 (Desmichels, du nom de son signataire français) et le second en 1837 (Tafna ou Bugeaud). Ils établissent en principe de bonnes relations, mais sont en fait ambigus, signés avec arrière pensée tant du coté français qu’algérien. De plus la version Arabe et son homologue française ne coïncident pas tout à fait. La seconde fait grosso modo, d’Abd El-Kader un sujet de la France alors que la première le voit comme indépendant. La situation se dégrade en 1839 quand un territoire, considéré comme étant à l’émir dans la version arabe du traité, est envahi.

Abd El-Kader décide d’intervenir à ce moment là, de passer à l’action armée. Et si les circonstances internationales avaient été autres, il aurait pu réussir. En effet une crise en Europe obligerait la France à disposer son armée sur le Rhin par exemple. Au lieu de cela, le gouvernement de Louis-Philippe se retire à cette époque un peu honteusement de la crise d’Égypte de 1840 (la France soutient l’Egypte révoltée contre la domination ottomane, qui a l’appui de l’Angleterre. Une guerre est évitée de justesse). C’est à dire que l’armée (qui avait crû du fait des troubles) se trouvait inemployée, et fut donc envoyée en Algérie. On parle là de 80,000 (puis 100,000 en 1847) bons soldats à l’action coordonnée par Bugeaud dès 1840, personnage dont je reparlerai dans d’autres articles. L’émir se rend bien vite compte que les contingents algériens ne sauraient tenir tête aux troupes régulières de l’armée française. Il lui manque de l’artillerie, des fusils modernes, une logistique forte (ses guerriers ne venaient qu’avec quelques jours de vivres), sans parler de l’organisation tactique. L’idée est donc de faire une guerre de harcèlement, pour pallier à ces difficultés. On attaquera donc colonnes et postes isolés, pour les dégoûter peu à peu. C’est ce qu’Abd el-Kader dit à Bugeaud dans une lettre de 1841. Ce dernier réagit, notamment en créant des postes de ravitaillement un peu partout. Certains sont en dur et d’autres surnommés « biscuit-ville » (comme son nom l’indique, le biscuit est un pain cuit deux fois), car formés en partie avec les caisses vidées du fameux aliment! D’ailleurs les soldats sont assez mal nourris et la viande est rare, sous forme essentiellement séchée quant elle existe. C’est pourquoi on vit encore beaucoup sur le pays. La mortalité est forte dans ces étapes de 30-40 km avec autant de kilos sur le dos…

Le maréchal Bugeaud.

Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.

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