La bataille d’Isly, III sur IV.
De part et d’autre de la frontière:
Si l’Armée préférerait faire campagne au printemps, la Marine entend agir en été pour bénéficier des meilleures conditions possibles…
On se calque donc sur ses vues et la colonne formée le 5 juin reste 45 jours à Lalla Maghnia (dont trente en sortie)! Pour tenir, on a ménagé des magasins, on a creusé des bassins pour la rétention d’eau et qui permettent de faire du poste une vraie base arrière. La frontière est franchie à quatre reprises et quelques engagements de peu d’envergure ont lieu. Le sultan ne réplique pas par la guerre et propose de négocier…
Malgré cela, il est séduit par l’idée d’une démonstration avantageuse à ses armes. C’est ainsi qu’il envoie ses forces sur la zone. Il se dit prêt à enfermer Abd el-Kader si les Français évacuent Lalla Maghnia. Bugeaud est d’accord pour ne pas se battre, mais refuse d’abandonner le poste. En effet une reculade serait compromettre les intérêts français dans la zone. Les guerriers algériens relèveraient la tête, à peine pacifiés qu’ils étaient à l’époque. De plus, Bugeaud est certain de remporter la bataille. Pendant ce temps la marine française fait ses démonstrations sur la côte. Elle est devant Tanger en juillet, grande ville commerciale du pays et centre diplomatique (le personnel étranger ne la quitte pas). Bon moyen de pression, donc. Joinville envoie un ultimatum, lequel est repoussé par le gouvernement marocain, peut-être aiguillé par Londres.
Rivalités entre Marine et Armée:
A noter qu’il y eut une importante correspondance entre Joinville et Bugeaud. On y voit bien la rivalité entre Marine et Armée, à la fois pour des raisons de prestige et de budget. Le premier aurait même été influencé par les dires du second dans son choix d’agir. En effet, le 2 août, il annonce qu’il va se mettre en branle. Bugeaud décide à son tour de passer à l’action, alors même que l’armée marocaine arrive sur la frontière. Le 11 il apprend que son « rival » a bombardé Tanger cinq jours plus tôt (c’est le temps que met la correspondance). Le prince en est fier: il a agi devant les navires de sa gracieuse majesté basés à Gibraltar! Bugeaud estime qu’il faut forcer le destin et choisit la date du 14 août, attendant quelques renforts d’ici là. Avait-il le droit d’engager la bataille? On pense que oui. Soult, ministre de la Guerre, laissait entendre le 22 juillet qu’il le pouvait, à condition qu’il regagne l’Algérie sans s’avancer trop profondément en territoire chérifien. Pourtant, on sait aussi que Bugeaud se vanta au duc d’Aumale d’avoir outrepassé les instructions d’une lettre de Soult reçue peu avant la bataille…

Joseph Vantini, dit Yusuf (voir articles sur la smala). Crédits photo, wikipédia
Les effectifs et les tactiques employées:
Toujours-est-il qu’à Isly, Bugeaud dispose de 10,000 hommes. Essentiellement des fantassins (8,000), 1,500 cavaliers (chasseurs sous Yusuf et des spahis) ainsi que 16 canons. C’est plus une grosse colonne qu’une armée. L’effectif marocain n’est pas précisément connu et court de 20-25,000 hommes au double suivant les auteurs. Ce sont avant tout des contingents fournis par les tribus guich; c’est à dire devant le service militaire au sultan contre des terres, un peu à la manière cosaque. Il y a également quelques contingents de gardes royaux et un peu d’artillerie. L’organisation est archaïque et l’armement inférieur. Les fusils de ces hommes sont traditionnels, à pierre et non à percussion. C’est à dire que les ratés sont encore nombreux là où une capsule de produit chimique remplace le silex chez les Français. Quant aux canons, les peuples orientaux les utilisent plus volontiers lors des sièges qu’en campagne.
Les cavaliers marocains tentent en fait de briser l’ennemi par leurs charges, mais n’utilisent pour ce faire pas le choc du cheval lancé à pleine vitesse, ils usent plus volontiers d’une sorte de caracole (c’est à dire qu’ils tirent à bout portant avec leurs armes). C’est impressionnant (ils cabrent leurs chevaux), mais peu efficace. En effet Bugeaud met sur pied un gigantesque carré, ou plutôt un losange fait de multiples bataillons séparés les uns des autres et se formant chacun en carré réduit, sur trois rangs. Ils se couvriront ainsi de leurs feux et l’intervalle entre eux sera battu par l’artillerie! La cavalerie et le commandement resteront au centre. On argua qu’en Europe, où la guerre avait évolué, un tel dispositif n’aurait pas marché, mais le fait est que nous ne sommes justement pas sur le vieux continent et l’accusation n’a pas lieu d’être.
Bibliographie:
-Cours de master (Paris-IV).
Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365 p.
Les articles sur la prise de la smala:
https://antredustratege.com/2013/09/06/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-i-sur-iii/
https://antredustratege.com/2013/09/07/la-prise-de-la-smala-dabd-el-kader-le-16-mai-1843-ii-sur-iii/
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La prise de la Smala d’Abd-El-Kader (le 16 mai 1843) II sur III.
Description de la smala:
Au départ l’émir disposait de capitales à la lisière du Tell (la zone littorale) et des hauts-plateaux, mais les Français les prirent les unes après les autres. D’où sa volonté de créer une capitale mobile dès 1841, un ensemble qui se déplacerait constamment. Pour l’historien Jacques Berque la symbolique est forte, qui permettrait de renouer avec la tradition ancestrale des cavaliers-conquérants arabes… En effet l’émir insistait fortement sur la liberté des nomades. De plus il faut savoir qu’il s’y connaissait bien en chevaux et écrivit même sur les purs-sangs arabes après sa reddition.
Ainsi, cette ville de tentes se déplace en convoi et s’installe en cercles (douars) concentriques d’une quinzaine d’unités. Ceux qui ont visité cette fameuse smala attestent de sa bonne organisation, police intérieure. Elle aurait compté 368 douars. Le duc d’Aumale, voir plus bas, parle d’un ensemble de 20.000 personnes et Abd el-Kader de 60,000. En fait le duc n’aurait peut être pris qu’une partie de l’ensemble, ce qui expliquerait la différence. La smala disposait d’artisans, d’une vie religieuse, soit un système rodé. Elle se ravitaillait par troupeaux, par achat de céréales dans le nord. Malgré tout, cet ensemble restait difficile à repérer car fréquentait plus volontiers les hauts-plateaux (largement plus difficiles d’accès et inhospitaliers) qu’autre chose. On se contentait alors de bloquer les accès de ceux-ci vers le Tell. C’est dans l’un de ces postes, Boghar, qu’était établi le duc d’Aumale. A cette époque la smala était plus mythique qu’autre chose… Toutefois, le fameux colonel Yusuf (cf plus bas) convainc Aumale que l’affaire est potentiellement juteuse et permettrait d’affaiblir Abf el-Kader…

Henri d’Orléans, duc d’Aumale.
Aumale et son entourage:
Cinquième fils de Louis-Philippe, envoyé à dessein en Algérie avec le grade de général de brigade, le jeune Aumale, âgé de 21 ans, se verrait bien réussir quelque coup d’éclat. D’autant plus que son entourage le juge plutôt courageux. Il est donc entouré du mystérieux Yusuf, apparu sur la scène algérienne en 1830, comme interprète de Tunis. Il réussit à se faire apprécier grâce aux services (il est nommé commandant des Spahis, ces fiers cavaliers) qu’il rend, bien qu’il soit auréolé de brume. L’homme prétend en effet être un ancien mamelouk ( soi-disant arraché à une famille chrétienne) du bey. Il aurait été forcé de fuir, s’étant amouraché de la fille du dirigeant tunisien. Certains le disent levantin de basse extraction, et d’autres le taxent de judaïsme, ce qui est suffisant pour être méprisé par beaucoup à l’époque (ne jugeons pas avec nos yeux actuels, pareil comportement est courant au XIXe siècle!). Toujours est-il que le personnage est réellement un arriviste. Volontiers flagorneur, il passe également pour intéressé. D’ailleurs, il n’est pas le dernier à piller. Il aurait donné à ses soldats une récompense pour les paires d’oreilles, puis les têtes (pour s’assurer de leur mort) des ennemis. Cette réputation permet aux Français de se décharger sur lui. Mais il est utile et connaît l’art de s’entourer: il accueille dans son régiment des gens qui veulent se faire oublier en France. Parmi eux, un certain Fleury, qui fut ultérieurement le conseiller de Louis-Napoléon pour son coup d’état! Près d’Aumale on trouve aussi Ameur Ben Ferhat, combattant du coté français avec ses cavaliers. Mais également l’étonnant Ismail Urbain, métis de Guyane proche des Saint-Simoniens (le socialisme de l’époque grosso modo, Napoléon III était touché par ces idées lui aussi) et converti à l’Islam (lors d’un voyage en Égypte), Prônant une générosité à l’endroit des Arabes, il fut évidemment proche de Napoléon III, précurseur (et quasi-unique prêcheur) en la matière (de Gaulle le rappela en son temps). Urbain est à ce moment interprète auprès du duc, ayant une parfaite connaissance écrite et orale de l’arabe.
On pense donc à s’emparer de la smala avec 13.000 fantassins, 600 cavaliers (Spahis et Chasseurs d’Afrique) plus 30 gendarmes, une section d’artillerie, un goum (sous Ben Ferhat, ces unités étant des troupes locales. Au Maroc on parle de Tabors) et un convoi de 800 chameaux portant 20 jours de vivres. Le 10 mai la colonne s’ébranle, quitte Boghar et cinq jours plus tard apprend la présence de la smala à 60 kilomètres au sud…

Spahis. Crédits photo: stock encyclopédie
Source: cours de master. Pour en savoir plus:
Frémeaux (Jacques), La France et l’Algérie en guerre, 1830-1870, 1954-1962, Paris, Economica, 2002, 365p.
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