AVERTISSEMENT: ce dossier parle de chants faits sous un régime totalitaire. Les paroles peuvent donc être favorables à Mussolini et au fascisme. L’étude proposée n’est toutefois là que dans un intérêt purement historique. Doctorant en histoire responsable de ses actes et écrits, désirant parler de faits peu connus, l’auteur décline toute proximité avec le maître de l’Italie de l’époque. Merci.
Le texte et son analyse (traduction par moi-même, donc imparfaite):
Cette fois la chanson date de l’immédiat de l’avant guerre, plus précisément d’avril 1935. Ecrite par Renato Micheli et mise en musique par Mario Ruccione elle développe déjà des thèmes que j’ai évoqués, comme les soi-disant bienfaits d’une présence italienne en Ethiopie. Plus généralement, ce chant de propagande tend à préparer les esprits à l’intervention et cherche à la justifier. Observons son texte, assez révélateur…
Faccetta nera (petit visage noir)
Dès ce chant, les commentaires que j’ai pu faire précédemment s’appliquent: le chanteur s’adresse à une jeune éthiopienne et tente de la persuader de la justesse de l’intervention de son pays. Celle-ci est tangible dans la chanson, et là symbolisée par les navires approchant de la côte. Il vante sa beauté et son brillant futur sous la férule coloniale. Le but final de l’Italie est même directement avoué, sans fard: remplacer les lois et le dirigeant du pays par les siens propres! Elle connut une seconde version en 1936, après la victoire de l’Italie.
Se tu dall’altipiano guardi il mare (si tu regardes le haut-plateau depuis la mer)
Moretta che sei schiava fra gli schiavi, (Jeune brune [?] esclave parmi les esclaves)
Vedrai come in un sogno tante navi (tu verras comme dans un rêve tant de navires)
E un tricolore sventolar per te (et le tricolore flotter pour toi).
Faccetta nera (Petit visage noir),
Bell’abissina (Belle Abyssine)
Aspetta e spera (Attends et espère)
Che già l’ora si avvicina (que l’heure déjà approche)!
quando saremo (quand nous serons)
Insieme a te (près de toi)
noi ti daremo (nous te donnerons)
Un’altra legge e un altro Re (Une autre loi et un autre Roi).
L’hypocrisie des futurs colonisateurs atteint dans le couplet suivant une démesure éhontée: leur loi, leur joug serait un « esclavage d’amour », servant à alimenter « liberté » et « devoir »! Ce qui n’empêche pas les chanteurs affirmer vouloir venger les soldats tombés en conquérant le pays (et là présentés comme des héros libérateurs). Rappelons que les chemises noires sont les troupes du parti fasciste et qu’elles firent le coup de feu partout, notamment en Ethiopie. Une main de fer dans un gant de velours en somme!
La legge nostra è schiavitù d’amore (Notre loi est un esclavage d’amour),
il nostro motto è libertà e dovere (Notre but est liberté et devoir),
vendicheremo noi Camicie Nere (Nous vengerons, nous les Chemises Noires),
Gli eroi caduti liberando te (Les héros tombés en te libérant)!
Refrain:
Faccetta nera,
Bell’abissina
Aspetta e spera
Che già l’ora si avvicina!
quando saremo
Insieme a te,
noi ti daremo
Un’altra legge e un altro Re.
Qu’avons-nous ensuite? Un déluge de « bonnes intentions »: les chemises noires veulent emmener la jeune éthiopienne en Italie, en faire l’une des leurs et même terminer par un défilé devant Mussolini et le Roi! Elle est censée perdre toute autre allégeance que l’italienne et devenir par là-même « libre ». On navigue en plein imaginaire colonial. Au final une chanson qui préparait bien les autres (cf articles précédents).

La partition originale
Faccetta nera, piccola abissina (Petit visage noir, petite abyssine),
ti porteremo a Roma, liberata (Nous t’emmènerons à Rome, libérée)
Dal sole nostro tu sarai baciata (Tu seras embrassée par notre soleil),
Sarai in Camicia Nera pure tu (Et tu seras pure en chemise noire) .
Faccetta nera (Petit visage noir)
Sarai Romana (Tu seras romaine)
La tua bandiera (Ton drapeau)
Sarà sol quella italiana (Sera seulement italien)!
Noi marceremo (Nous marcherons)
Insieme a te (Avec toi)
E sfileremo avanti al Duce (Et nous défilerons devant le Duce)
E avanti al Re (et devant le roi)!
Ecoutons la chanson pour terminer:
La version de 1936:
Bibliographie:
-Mon analyse personnelle de la chanson. Le reste s’appuie:
Sur le fascisme italien, Mussolini et la période:
-BERNSTEIN (Serge) et MILZA (Pierre), Le fascisme italien, 1919-1945, Paris, Seuil, 1997, 438 p.
-MILZA (Pierre), Mussolini, Paris, Fayard, 1999, 945 p.
-SERRA (Maurizio), Malaparte, vies et légendes, Paris, Perrin coll. « Tempus », 2012, 797 p.
Sur la guerre d’Ethiopie, un bon fascicule de chez Osprey:
-NICOLLE (David), The Italian invasion of Abyssinia. 1935-1936, Osprey Publishing, Oxford, 1997, 48 p.
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