Archives de Tag: Alsace-Lorraine

L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre: III) La guerre de position

Des combats coûteux et peu décisifs

Une fois le front stabilisé, il resta pratiquement tel quel jusqu’à la terrible année 1918. Les combats, quoique très violents et tout sauf sporadiques, ne permirent pas à l’un des deux camps de l’emporter, comme dans les autres secteurs de la guerre à l’ouest d’ailleurs. Quelques lieux emblématiques concentrèrent les plus grands affrontements, notamment le Lingekopf et le Hartmannwillerskopf, sommet d’importance dans les Vosges alsaciennes. Là, en montagne et dans des conditions épouvantables, Français et Allemands se firent face. Y creuser des tranchées, régler les tirs d’artillerie, passer à l’assaut et tout simplement communiquer était rendu difficile par le relief et le climat semi-continental, chaud en été et froid en hiver. Des offensives allemandes et françaises s’y succédèrent durant l’année 1915 pour le contrôle de l’éperon stratégique, qui permettait de bien observer la plaine d’Alsace. Les chasseurs français s’y illustrèrent particulièrement et les pertes totales furent de 30.000 hommes. Cela est certes bien moins « impressionnant » que les batailles comme Verdun mais masque la dureté des engagements, que les monuments, cimetières et vestiges permettent de mieux appréhender encore aujourd’hui.

Après cela, plus aucune attaque de grande envergure ne fut tentée dans la région, et l’on peut faire le même commentaire pour l’Argonne, où les Français avaient attaqué (combats en 1914 et 1915): ils furent repoussés par les défenseurs allemands. Une chanson allemande nommée Argonnerwaldlied évoque d’ailleurs ce front. Enfin, notons tout de même l’installation, en Lorraine cette fois, d’un canon allemand à longue portée qui bombarda Nancy entre 1916 et 1917, avant d’être réduit au silence par les avions français. Nous le verrons, d’importants combats reprirent en 1918 seulement.

 

Mitrailleuse allemande Maschinengewehr modèle 1908. Elle fut allégée en 1915 pour une autre version. C’est un matériel fiable et robuste. Objet conservé au fort de Mutzig. Photo de l’auteur. https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

Tranchées au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

Tranchées au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

Ouvrage au Hartmannswillerkopf, haut-lieu des combats. Photo de l’auteur. http://www.memorial-hwk.eu/

La situation à l’arrière, côté allemand

Par contre, ne l’oublions pas, une très grande partie des départements annexés en 1871 resta sous côté allemand entre 1914 et 1918. Ceux-ci durent donc vivre la difficulté d’être à la fois zone de combats et arrière immédiat du front, par où transitaient munitions, ravitaillement, blessés et renforts allemands, ainsi que les prisonniers français (on a dit le rôle de la place de Metz plus haut). Les transferts vers et hors de l’Allemagne y étaient plus faciles que pour les soldats stationnés dans les Flandres, où les lignes de communications étaient plus longues.

Côté humain, les mobilisés dans cette « terre d’Empire » (Reichsland) furent 380.000, dont une très grande partie fut envoyée en Russie pour éviter la fraternisation avec les Français, ce qui put arriver. De plus, l’Empire allemand intensifia de manière très importante la germanisation après l’entrée en guerre, interdisant totalement l’usage du français et confisquant les biens possédés sur place par des ressortissants de la République. La censure fut totale et la vie de plus en plus difficile à mesure que la guerre se poursuivait. Les réquisitions augmentèrent, les pénuries et rationnements aussi alors que le statut futur de l’Alsace-Lorraine était fermement débattu dans les cercles du pouvoir. Jamais élevée au rang d’Etat comme la Saxe ou la Prusse, elle restait en fait une terre de « seconde zone » appartenant à tous les Etats allemands. Bref, les années de guerre furent difficiles pour les Alsaciens et les Mosellans. 

Le Hartmannwillerskopf. Interprété par la fanfare du 13e bataillon de chasseurs alpins. 

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts et musées, dont:

https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/

https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

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L’Alsace-Lorraine dans la Grande Guerre: II) Les combats de 1914 et l’arrêt de la guerre de mouvement

Après avoir présenté la situation de l’Alsace-Lorraine en 1914, et rappelé que c’était avant tout un terme administratif allemand, nous allons à présent nous intéresser aux combats de cette première année de guerre. Les deux « provinces perdues » virent en effet les armées française et allemande s’y affronter durement dans la chaleur de l’été, avant que le front ne se stabilise, ce qui mit fin à l’épisode bien connu de la guerre de mouvement, d’ailleurs bien plus meurtrière que les mois qui la suivirent.

Les combats de l’été 1914

Dès le début de la guerre, le gouvernement allemand interdit les journaux d’expression française en Alsace-Lorraine, procéda à l’arrestation des personnalités les plus anti-allemandes et mobilisa les soldats issus de ces régions, à l’instar de ceux qui provenaient du reste de l’Empire. Or, les insoumis furent rares et cette opération se passa dans le calme. La France, elle, en vertu de ses orientations militaires décidées avant guerre, le fameux « plan XVII », attaqua rapidement en direction de l’Alsace-Lorraine: à la fois dans la région de Metz et plus au sud, pour déboucher dans la plaine d’Alsace.

Ces premières opérations constituèrent des succès pour les armes françaises, puisque la résistance ennemie fut maigre les premiers jours. Alors que certains soldats d’un régiment de Saverne passèrent même du côté français, d’importantes villes comme Mulhouse ou Sarrebourg furent un temps occupées. Les réactions locales furent mitigées: plutôt bien accueillis dans les villages restés francophones de Lorraine, les soldats de la République se comportèrent aussi en occupants ailleurs, arrêtant des personnes gênantes et bientôt dirigées vers l’intérieur de la France.

De plus, l’armée allemande était loin d’être vaincue et procédait en fait à sa concentration, avant de partir à l’offensive, ce qui intervint dès le 18 août 1914. Les Français furent rapidement bousculés, souvent rejetés sur la frontière de 1871, voire au-delà. En Lorraine, Nancy ne fut sauvée que grâce à la défense tenace menée de main de maître par le général de Castelnau.

Certains cavaliers français portent encore des cuirasses en 1914 ! Vitrine au musée du fort de Mutzig, photo de l’auteur.

Les fameuses pipes et chopes allemandes…. Musée de Mutzig, dans le fort. Photo de l’auteur.

Assiette commémorative allemande, musée dans le fort de Mutzig, photo de l’auteur.

Képi français du 105e RI, qui combattit dans la région. Photo de l’auteur, musée dans le fort de Mutzig.

La stabilisation du front

En fait, comme partout ailleurs sur le front de l’ouest, le front se stabilisa rapidement, notamment après la victoire française de la Marne, début septembre et qui permit de protéger Paris. Bientôt, incapables de percer  face à la puissance des mitrailleuses ainsi que des canons à tir rapide comme les 75 et 77 mm respectivement français et allemand, les soldats s’enterrèrent dans des tranchées pour se protéger des balles et surtout des éclats d’obus.

Si elles n’étaient au départ que des trous faits à la va-vite, elles se perfectionnèrent rapidement, inaugurant une forme de guerre inédite à cette échelle. En Alsace, les Français avaient gardé la région de Thann et d’Altkirch, où vivaient 55.000 habitants, le reste des deux départements restant aux mains des Allemands. En Lorraine, ces derniers avaient efficacement repoussé leurs ennemis, et le front se situait bien souvent sur le territoire français, au-delà de la frontière fixée par le traité de Francfort. Ainsi, la richesse minière et industrielle de Meurthe-et-Moselle était-elle perdue pour Paris.

De plus, Metz, conservée par l’Empire, gardait sa fonction dissuasive et demeura jusqu’à la fin de la guerre une zone arrière très importante pour Berlin, qui s’en servit comme dépôt de munition et plate-forme de transit pour ses troupes.

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts et musées, dont:

https://antredustratege.com/2017/10/12/le-fort-rapp-moltke-reichstett/

https://antredustratege.com/2015/09/21/le-fort-de-mutzig-alsace-reportage-photo/

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L’Alsace-Lorraine dans la Grande guerre : I) La situation en 1914

Terme administratif allemand, l’expression « Alsace-Lorraine » (ElsaßLothringen) renvoie en fait aux trois départements français annexés en 1871: Haut-Rhin, Bas-Rhin et Moselle. Ainsi, une partie de la Lorraine resta française, et il en fut de même pour le territoire de Belfort, détaché de l’Alsace et demeuré, du fait de sa défense tenace, dans le giron de la République. Or, l’opinion française ne sut jamais se résoudre à la perte de ces territoires vus comme des « provinces perdues ». Si la perspective d’une guerre de revanche pour les récupérer ne fut en fait jamais très sérieuse, dès que la Première Guerre mondiale éclata, la situation changea et ils devinrent très tôt un but de guerre essentiel pour Paris, ce qu’on s’attachera à expliquer ici.

Une frontière assez ouverte mais surveillée

Installé dans la région depuis 1870, l’Empire allemand avait entrepris très rapidement d’administrer et de germaniser (sans succès complet) le territoire reçu par le traité de Francfort de l’année suivante. Pourtant, la nouvelle frontière avec la France n’était pas hermétique, contrairement à une idée reçue. Longue de 285 kilomètres, elle était matérialisée par des poteaux-frontière assez impressionnants, et souvent arrachés, et il fallait bien se soumettre à des contrôles, mais ceux-ci n’étaient pas rédhibitoires. D’ailleurs, si l’Empereur Guillaume II avait instauré un passeport spécial pour la franchir en 1887, il l’annula dès 1891.

Ainsi, les Alsaciens et Mosellans ayant fait le choix de rester Français en 1871 se rendaient-ils souvent dans leur ville ou village d’origine et ce sans grand problème. C’est par exemple le cas du peintre Jean-Jacques Henner, dont la carrière parisienne ne doit pas faire oublier les origines alsaciennes et rurales. Il est connu pour son fameux tableau Alsace. Elle attend (1), personnification saisissante de cette région. Les Allemands, dans l’autre sens, pouvaient aussi se rendre en France, bien que ce fût plus compliqué pour les militaires en service, ce qui est assez compréhensible.

Toutefois, de la Suisse au Luxembourg, cette frontière était surveillée. Un climat « d’espionnite » aiguë régnait alors, dont on a du mal à saisir l’ampleur de nos jours. Dans les gares et villages frontaliers une vraie guerre de renseignement se livrait, réelle comme supposée. Commissaires de police aux fonctions spéciales, douaniers et militaires tentaient de recueillir des informations sur les fortifications, mouvements de troupes et situation économique de l’autre côté de la barrière.

Quelques affaires émaillèrent ainsi les relations franco-allemands, comme celle de Schnaebélé, fonctionnaire français attiré dans un traquenard par un homologue allemand en 1887, sous prétexte d’échanger des informations. Arrêté par les autorités allemandes au motif d’espionnage, il fut finalement relâché après qu’une émotion intense eut soulevé la France et fait croire, un instant, à une déclaration de guerre.

L’entrée du fort Rapp-Moltke de Reichstett, ceinture de Strasbourg. Photo de l’auteur.

Dans les fossés du fort. Photo de l’auteur.

Dans les fossés du fort. Photo de l’auteur.

L’une des coupoles d’observation d’artillerie. Photo de l’auteur.

Le fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

Les machines du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

L’une des coupoles de tir du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

Les pièces d’artillerie du fort de Mutzig. Photo de l’auteur.

Un territoire fortifié 

De plus, l’Alsace-Lorraine allemande est, en 1914, un territoire fortifié, bien défendu et terre de garnison. A la fois car elle constitue la frontière avec la France, mais aussi car elle est perçue comme une marche défensive par l’Allemagne. Le chancelier Bismarck l’avait lui-même avoué dans une lettre à l’impératrice Eugénie, femme de Napoléon III (2). Les considérations d’ordre culturel, consistant à dire que cette annexion avait été réalisée pour retrouver un rameau du peuple germanique séparé de son tronc se révèlent en fait être des prétextes masquant une volonté politique et militaire: en cas de nouvelle attaque française, c’est l’Alsace et la Moselle qui seraient les premières touchées, pas l’autre rive du Rhin.

Cela n’empêcha pas l’Allemagne d’investir énormément dans ce territoire, d’y bâtir, et l’Empereur Guillaume lui-même de l’apprécier. On connaît notamment son intérêt, certes orienté, pour le Haut-Koenigsbourg (3). Néanmoins, cet espace avait une vocation de « marche » certaine. Voilà pourquoi de nombreuses casernes y avaient été construites, à la fois pour matérialiser une présence militaire réelle, mais aussi car les soldats étaient un bon vecteur de germanisation. Les villes de Metz et Strasbourg, elles, furent dotées d’une ceinture de forts très modernes et destinés surtout à dissuader la France d’attaquer. Signe de l’évolution des temps, ils étaient semi-enterrés, pour lutter contre les progrès de l’artillerie. Parmi eux, on peut citer celui de Reichstett, autour de Strasbourg. Les débouchés des Vosges, eux, furent dotés d’ouvrages devant arrêter les troupes françaises, car la ligne du massif n’était par entièrement protégée. L’un des plus impressionnants est celui de Mutzig (voir plus bas), qui inspira indirectement la ligne Maginot.

Or, dès les premiers jours de la guerre, une partie de ce territoire connut des combats.

Notes: 

(1) : http://www.musee-henner.fr/collections/l-alsace-elle-attend

(2): Le point sur la question ici: https://www.napoleon.org/histoire-des-2-empires/articles/une-chronique-de-thierry-lentz-limperatrice-le-tigre-et-le-retour-de-lalsace-lorraine-en-1918

(3) : https://antredustratege.com/2014/01/20/le-chateau-du-haut-koenigsbourg/

Bibliographie:

-ROTH (François), Alsace-Lorraine. Histoire d’un « pays perdu » de 1870 à nos jours, Paris, Tallandier, coll. « Texto », 2016, 222 p.

-Informations glanées lors de la visite de nombreux forts:

Le fort Rapp-Moltke (Alsace/Reichstett)

Le fort de Mutzig (Alsace) : reportage-photo

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